Secouée par une violente crise économique et politique, la nouvelle première ministre britannique s’accroche à son poste

Les jours de Liz Truss à la tête du Royaume-Uni sont-ils comptés ?

Quarante jours à peine après son entrée à Downing Street, la nouvelle première ministre britannique fait face à une crise économique et politique sans précédent, qui pourrait lui coûter son poste… plus tôt que tard.

Jusqu’à la semaine dernière, on pensait qu’elle pourrait s’accrocher. Mais tout semble vraiment s’écrouler autour d’elle.

Christopher Stafford, professeur de politique à l’Université de Nottingham, en Angleterre

Élue à la tête du Parti conservateur il y a six semaines, Liz Truss est dans la tourmente depuis son mini-budget du 23 septembre, dans lequel elle annonçait des baisses d’impôt massives et un gel du plafond tarifaire pour les prix de l’énergie, dans l’espoir de stimuler la croissance et de lutter contre l’inflation qui frappe le Royaume-Uni.

Mais ses promesses, jugées irréalistes et non pleinement chiffrées, ont causé une tempête sur les marchés, entraînant une chute historique de la livre sterling, une flambée des taux d’emprunt à long terme de l’État, fragilisant les fonds de pension et provoquant ultimement l’intervention de la Banque d’Angleterre pour empêcher que la situation ne se transforme en crise financière, tandis que le Fonds monétaire international (FMI) enjoignait à Downing Street de rectifier le tir.

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Ce chaos généralisé s’est soldé vendredi par la démission du chancelier (ministre des Finances) Kwasi Kwarteng, aussitôt remplacé par Jeremy Hunt, un ancien candidat à la direction du parti.

Dans l’espoir de sauver les meubles, ce dernier a déclaré lundi qu’il annulait « presque toutes » les promesses fiscales dévoilées le mois dernier, un désaveu humiliant pour la première ministre, qui était d’ailleurs absente à la période des questions, laissant Penny Mordaunt, chargée des relations entre le gouvernement et la Chambre des communes, essuyer à sa place les salves de l’opposition.

PHOTO JESSICA TAYLOR, FOURNIE PAR LE PARLEMENT DU ROYAUME-UNI, AGENCE FRANCE-PRESSE

Le chancelier de l’Échiquier, Jeremy Hunt, à la Chambre des communes, lundi

Ce rétropédalage spectaculaire permettra probablement de stabiliser la situation. Mais les rumeurs sur la démission de Mme Truss sont plus insistantes que jamais. Cinq députés conservateurs ont déjà appelé publiquement à son départ, tandis que d’autres seraient à la manœuvre en coulisses, selon divers médias britanniques.

« Plusieurs veulent la voir partir, insiste M. Stafford. Le problème, c’est qu’ils devront trouver quelqu’un pour la remplacer. À moins que ce départ précipité soit vu comme une honte pour le parti, ce qui pourrait lui donner un sursis. »

Un trou dans le budget

Techniquement, le chef du Parti conservateur possède un « délai de grâce », à savoir qu’il est protégé d’un vote de défiance pendant les 12 premiers mois de son mandat. Mais cette règle interne peut être modifiée s’il y a suffisamment de pression de la part des députés.

Des noms de successeurs potentiels ont d’ailleurs déjà commencé à circuler, dont ceux de Rishi Sunak, ancien adversaire de Mme Truss pour la course à la direction du parti, ou l’actuel ministre de la défense, Ben Wallace.

En entrevue à la BBC lundi soir, la cheffe du gouvernement a fait acte de contrition. Elle a répété qu’elle était « désolée » pour ses « erreurs », estimant avoir voulu aller « trop loin, trop vite », et dit souhaiter conserver les clés du 10 Downing Street.

« Je resterai à mon poste pour tenir mes engagements pour l’intérêt national », a-t-elle assuré, ajoutant qu’elle serait encore à la tête du parti pour les prochaines élections prévues dans deux ans, où l’opposition travailliste est donnée largement favorite, face à un Parti conservateur usé par 12 ans de règne et les scandales de Boris Johnson.

Part ou reste, les problèmes urgents seront toutefois loin d’être réglés, observe Andreas Bieler, professeur d’économie politique à l’Université de Nottingham. « La volte-face du gouvernement a permis de stabiliser la situation. Mais le trou dans le budget est encore plus grand que prévu et d’autres coupes sont à prévoir dans les dépenses publiques, comme la santé et l’éducation », appréhende-t-il.

M. Bieler se dit par ailleurs « étonné » que Mme Truss ait mis en œuvre ses « expérimentations » budgétaires sans consulter le Bureau de la responsabilité budgétaire (OBR), chien de garde des finances publiques au Royaume-Uni.

« C’est surprenant qu’ils aient choisi de s’en passer, dit-il. Ils ont juste décidé de faire une grosse déclaration. C’était téméraire. »

« Le problème, c’est qu’à la fin, ce sont les contribuables qui vont payer pour ça », regrette M. Bieler.

Si elle démissionne, Liz Truss sera la quatrième personne à quitter le poste de premier ministre britannique depuis le Brexit, après David Cameron, Theresa May et Boris Johnson. Elle pourra aussi et surtout revendiquer le record peu enviable du premier ministre avec le plus court règne de l’histoire du Royaume-Uni. Celui-ci est pour l’instant détenu par le conservateur George Canning, resté 119 jours au pouvoir en 1827.

Il était mort en fonction.

Avec l’Agence France-Presse

En savoir plus
  • 32 milliards de livres
    Selon le nouveau chancelier de l’Échiquier, Jeremy Hunt, les nouvelles mesures fiscales annoncées lundi se traduiront par des recettes supplémentaires de 32 milliards de livres (49 milliards CAN).