Les bombardements russes qui ont frappé Kyiv et d’autres villes d’Ukraine lundi en réponse à l’explosion sur le pont de Crimée sont un signe d’escalade du conflit, selon des experts consultés par La Presse. Ceux-ci se montrent également préoccupés par les signes d’une plus grande implication de la Biélorussie dans le conflit.

Dans un bilan provisoire, les services de secours ukrainiens ont fait état de 11 morts et 89 blessés à travers le pays. Il s’agit d’une attaque d’une ampleur inégalée depuis des mois. Le premier ministre de l’Ukraine, Denis Chmygal, a indiqué que 11 infrastructures importantes avaient été endommagées dans 8 régions, en plus de la capitale.

Le président de la Russie, Vladimir Poutine, a déclaré que Moscou avait mené une campagne « massive » de bombardements « contre l’infrastructure énergétique, militaire et de communication de l’Ukraine ». Il s’agissait, a-t-il ajouté, de représailles aux actes « terroristes » de Kyiv, en référence à l’explosion non revendiquée qui a partiellement détruit le pont de Crimée samedi.

« C’est une escalade à plusieurs égards », note Pierre Jolicœur, professeur de science politique au Collège militaire royal du Canada à Kingston.

Selon M. Jolicoeur, « c’est une tentative de démonstration de la Russie qu’on a toujours des capacités militaires », y compris certaines qui ont été peu ou pas employées jusqu’à présent, « et qu’on peut faire beaucoup de dommages ».

« Ils essaient de nous détruire tous, de nous effacer de la surface de la Terre », a réagi le président de l’Ukraine, Volodymyr Zelensky, sur les réseaux sociaux lundi matin alors que les missiles tombaient sur son pays, réclamant à ses alliés occidentaux une réponse « dure » face à la Russie.

PHOTO FOURNIE PAR LA PRÉSIDENCE DE L'UKRAINE, VIA AGENCE FRANCE-PRESSE

Volodymyr Zelensky, président de l'Ukraine

Il a annoncé plus tard avoir discuté avec son homologue américain Joe Biden d’aide à la défense antiaérienne. M. Zelensky a évoqué sur Twitter une « conversation productive ». « La défense antiaérienne est actuellement la priorité numéro un de notre coopération en matière de défense », a-t-il indiqué.

La Maison-Blanche a ensuite annoncé que le président Biden avait promis à l’Ukraine des « systèmes perfectionnés de défense aérienne ».

Selon la Défense ukrainienne, l’armée russe a lancé 84 missiles, dont 43 missiles de croisière, et 52 de ces missiles ont été interceptés par la défense aérienne. Une demi-douzaine de déflagrations ont été entendues à Kyiv, avec des frappes sur plusieurs quartiers, dont le centre-ville, pulvérisant notamment une aire de jeux pour enfants dans le parc Taras Chevtchenko.

Affaiblir la résistance

Pour le professeur Jolicœur, cette offensive est également une façon pour la Russie de « faire changer le discours » sur l’évolution du conflit, alors que les succès militaires ukrainiens et les déboires russes ont fait la manchette des dernières semaines.

Le fait qu’on s’attaque au réseau électrique à la veille de l’hiver est « inquiétant », ajoute-t-il, notant que cela « pourrait créer des perturbations importantes en Ukraine ».

Luca Sollai, doctorant en histoire et chargé de cours à l’Université de Montréal, abonde dans le même sens. « Ça pourrait être une tentative d’affaiblir la résistance à travers des moyens qui sont plus conventionnels […], donc d’attaquer l’énergie pour éviter de devoir retourner sous la menace de l’utilisation de l’arme atomique », de plus en plus évoquée par le président Poutine.

Les frappes de lundi visaient d’abord à terroriser la population, selon Dominique Arel, titulaire de la Chaire en études ukrainiennes à l’Université d’Ottawa. « D’un point de vue militaire, c’est zéro escalade, parce que l’armée ukrainienne continue son avancée, que l’armée russe est incapable de contrer militairement », observe-t-il, soulignant que « ça fait huit mois que les Russes attaquent les civils ».

L’Union européenne, l’OTAN et de nombreux États occidentaux, dont les États-Unis et le Canada, ont condamné ces attaques, évoquant de possibles crimes de guerre.

Le secrétaire général de l’ONU, António Guterres, a dénoncé « une escalade inacceptable ».

Qualifiant la Russie d’« État terroriste », l’ambassadeur de l’Ukraine à l’ONU, Sergiy Kyslytsya, a également évoqué des crimes de guerre. « Le monde entier a une fois encore vu le vrai visage d’un État terroriste qui tue notre peuple », a-t-il déclaré devant l’Assemblée générale des Nations unies.

PHOTO MAXIM GUCHEK, AGENCE FRANCE-PRESSE

Le président de la Biélorussie, Alexandre Lukashenko (à droite), avec de hauts dirigeants de son armée, à Minsk

En parallèle, la Biélorussie faisait craindre l’ouverture d’un nouveau front à la frontière nord de l’Ukraine en annonçant un déploiement aux contours non précisés de troupes conjointes avec son allié russe. Le président Alexandre Loukachenko a accusé lundi la Pologne, la Lituanie et l’Ukraine de préparer des attaques « terroristes » et un « soulèvement » dans son pays.

« Ceci est inquiétant parce que ça semble vouloir élargir le conflit à d’autres acteurs », dit le professeur Jolicœur, notant que la Pologne et la Lituanie sont des membres de l’OTAN. « C’est une situation qui est à suivre. »

Avec l’Agence France-Presse