(Moscou) Le pont de Crimée, qui relie la péninsule annexée à la Russie, a été en partie détruit par une puissante explosion, samedi. Une attaque qui semblait jusqu’ici impensable contre une artère stratégique et un symbole de l’occupation russe, mais dont Kyiv rejette la responsabilité.

Des vidéos spectaculaires de l’explosion captées par des caméras de surveillance ont circulé samedi sur les réseaux sociaux.

Dans l’une d’entre elles, on voit deux véhicules, dont un camion, circulant sur le pont de Crimée avant d’être soudainement engloutis par les flammes après une violente déflagration.

PHOTO AGENCE FRANCE-PRESSE

De la fumée noire s’élève des wagons-citernes ayant pris feu après l’explosion sur le pont de Crimée samedi. En bas à gauche, la partie du pont qui s’est effondrée.

Trois personnes sont mortes dans l’explosion survenue à l’aube, selon Moscou, qui évoque un attentat au camion piégé. La Russie a mis sur pied une commission chargée d’enquêter sur l’explosion.

Un large tronçon de la voie routière s’est effondré dans le détroit de Kertch, mais la circulation a repris dès l’après-midi, ont annoncé les autorités de la Crimée. Le trafic ferroviaire a quant à lui été restauré dans la soirée, avec le départ de deux trains à destination de Moscou et de Saint-Pétersbourg.

Un revers malgré tout douloureux pour la Russie, une semaine après l’annonce de l’annexion de quatre territoires ukrainiens.

PHOTO COMITÉ D’ENQUÊTE DE LA FÉDÉRATION DE RUSSIE/ASSOCIATED PRESS

Des enquêteurs russes ont été dépêchés sur les lieux.

Un symbole

Plus qu’un échec militaire, cette attaque est une cuisante humiliation pour Vladimir Poutine. Et un affront très personnel, croit le professeur Dominique Arel, titulaire de la Chaire en études ukrainiennes à l’Université d’Ottawa.

Avec ses 18 km, le pont de Crimée est le plus long pont d’Europe. Symbole de prestige, il a été inauguré en grande pompe par le président russe en 2018, quatre ans après l’annexion de la Crimée. On le disait indestructible, protégé par tout un arsenal de défense russe, dont des « dauphins militaires ».

Plus important encore : le pont de Crimée est le seul lien reliant la péninsule à la Russie, avec laquelle elle ne partage aucune frontière terrestre.

Pour Vladimir Poutine, « c’est le symbole de l’unification de la Crimée à la Russie », explique Dominique Arel.

Pour l’instant, Moscou s’est gardé d’accuser directement l’Ukraine. Le chef du parlement de la Crimée, Vladimir Konstantinov, a dénoncé un coup « des vandales ukrainiens ».

« La Crimée. Le pont […]. Tout ce qui est illégal doit être détruit, tout ce qui a été volé doit être rendu à l’Ukraine », a pour sa part tweeté Mikhaïlo Podoliak, conseiller du président ukrainien Volodymyr Zelensky.

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Le pont de Crimée, inauguré en 2018, comporte des voies routières et ferroviaires.

Kyiv n’a pas revendiqué l’attaque, bien qu’il se soit réjoui des dégâts. Le gouvernement ukrainien attribue plutôt l’explosion à une lutte interne entre les services spéciaux russes et l’armée russe.

« Il convient de noter que le camion qui a explosé, selon toutes les indications, est entré sur le pont du côté russe. C’est donc en Russie qu’il faut chercher les réponses », a déclaré M. Podoliak dans un communiqué.

Selon un haut responsable ukrainien s’exprimant sous le couvert de l’anonymat, les services de renseignement ukrainiens auraient bel et bien orchestré l’attaque, rapportait samedi le New York Times.

Quelques heures après l’explosion, le bureau de poste du pays a dévoilé un timbre commémoratif à l’image du pont en flammes qui devrait être imprimé prochainement.

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Une femme pose devant une œuvre représentant le pont de Crimée en feu, à Kyiv.

Artère stratégique

D’un point de vue militaire, le pont de Crimée est une cible stratégique pour l’Ukraine, souligne Dominique Arel.

« L’approvisionnement militaire passe par le pont, qui est d’abord et avant tout un pont ferroviaire », explique le professeur. S’il devait être sérieusement endommagé, la Crimée se retrouverait isolée, ajoute-t-il.

L’armée russe, en difficulté sur le front de Kherson dans le sud de l’Ukraine, a quant à elle assuré que l’approvisionnement de ses troupes n’était pas menacé. Kyiv a frappé plusieurs ponts dans la région de Kherson, ces derniers mois, afin de perturber le ravitaillement de l’armée russe.

« Maintenant que c’est arrivé, tout peut arriver. Les Ukrainiens ont déjà envoyé le message qu’ils sont capables d’ébranler le pont », croit Dominique Arel.

Le pont rouvert en soirée

Le pont de Crimée a rouvert à la circulation routière et ferroviaire après avoir été partiellement détruit samedi.

« Le trafic ferroviaire sur le pont de Crimée a été totalement rétabli », a affirmé à la presse le vice-premier ministre russe Marat Khousnoulline, selon l’agence Ria Novosti, sans précision horaire.

« Tous les trains programmés vont passer en totalité », a-t-il ajouté. Il a précisé sur son compte Telegram que cette reprise concernait aussi bien « les trains de passagers que de marchandises ».

« Nous avons les capacités techniques pour cela », a-t-il assuré.

Un opérateur de la ligne ferroviaire avait annoncé quelques heures plus tôt que deux trains étaient déjà partis en direction de Moscou et de Saint-Pétersbourg.

Les autorités de Crimée avaient annoncé dans l’après-midi que la circulation avait repris pour les voitures et les bus sur la seule voie routière du pont restée intacte. Ce qu’a confirmé M. Khousnoulline, précisant que la seconde voie serait de nouveau opérationnelle « dans un proche avenir » et que les conclusions des observations menées samedi sur les parties endommagées seraient connues dimanche.

Des traversiers vont prendre le relais, notamment pour la traversée des poids lourds. « Nous ne prévoyons pas de pénurie », a relevé le vice-premier ministre.

L’agence de presse russe Tass avait indiqué plus tôt que la circulation ferroviaire avait totalement repris pour les passagers et les marchandises, mais avec des retards.

Agence France-Presse

Avec l’Agence France-Presse, le New York Times et le Guardian