(Moscou) Qui est derrière l’explosion non revendiquée qui a partiellement détruit le pont de Crimée samedi ? Kyiv est assurément impliqué, selon un expert consulté par La Presse. Le président russe Vladimir Poutine a accusé les Ukrainiens d’avoir ainsi commis un « acte terroriste », et des frappes meurtrières contre une ville ukrainienne ont suivi dans la nuit.

« Les auteurs, les exécutants et les commanditaires sont les services secrets ukrainiens », a résumé M. Poutine, dimanche, à l’issue d’une réunion avec le chef du Comité d’enquête russe, selon une vidéo diffusée par le Kremlin. « Il ne fait aucun doute qu’il s’agit d’un acte terroriste visant à détruire une infrastructure civile russe d’importance critique », a-t-il ajouté.

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Le président russe, Vladimir Poutine, et le chef du Comité d’enquête russe, Alexandre Bastrykine

C’était la première réaction de Vladimir Poutine à l’explosion qui a fait trois morts tôt samedi matin.

Un large tronçon de la voie routière du lien stratégique s’est effondré dans le détroit de Kertch, mais la circulation a repris dès l’après-midi. Le trafic ferroviaire a quant à lui été restauré dans la soirée.

Kyiv n’a pas revendiqué l’attaque, bien qu’il se soit réjoui des dégâts. Le gouvernement ukrainien attribue plutôt l’explosion à une lutte interne entre les services spéciaux russes et l’armée russe.

« C’est clair que l’Ukraine est impliquée d’une façon ou d’une autre », soutient Dominique Arel, titulaire de la Chaire en études ukrainiennes à l’Université d’Ottawa.

C’est à l’avantage de l’Ukraine de ne pas en prendre la responsabilité directe, et au contraire, de laisser entendre que le régime russe commence à vaciller de plus en plus. D’où l’hypothèse que ce serait un conflit entre les différents services de sécurité.

Dominique Arel, titulaire de la Chaire en études ukrainiennes à l’Université d’Ottawa

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Le pont de Crimée en feu après l’explosion

M. Arel juge plus plausible la théorie de Moscou voulant que l’explosion de samedi soit le résultat d’un attentat ukrainien au camion piégé. « Mais la question, c’est : il venait d’où, le camion ? Et comment est-ce que ce camion-là a réussi à passer à travers tous les points de contrôle ? »

Selon les autorités russes, le véhicule est passé en Bulgarie, en Géorgie, en Arménie, en Ossétie du Nord et à Krasnodar, une région du sud de la Russie.

Un ancien expert en explosifs de l’armée britannique a dit à la BBC que, selon lui, une explosion venant d’en dessous du pont — grâce à un navire commandé à distance, par exemple — était plus vraisemblable. Le professeur Arel écarte toutefois cette théorie, la jugeant plus digne d’Hollywood que de la réalité.

« Ce qui est clair avec ce qui est arrivé hier — et il y a un pattern depuis plusieurs mois dans la guerre —, c’est que les Ukrainiens ont l’avantage des opérations », poursuit l’expert de l’Université d’Ottawa. « Ils sont capables d’être impliqués dans des opérations sans en prendre la responsabilité directe, en laissant un flou, et les Russes sont aussi dans le flou. »

Il cite en exemples l’assassinat de Daria Douguina, la fille d’un idéologue réputé proche du Kremlin morte dans l’explosion d’une voiture en août, et l’attaque du croiseur Moskva, coulé en mer Noire en avril.

Frappes meurtrières à Zaporijjia

Le président de l’Ukraine, Volodymyr Zelensky, a de son côté qualifié les militaires russes de « terroristes », après des frappes sur des immeubles d’habitation de Zaporijjia, dans le sud du pays, qui ont fait entre 12 et 17 morts selon les bilans. Cette attaque survient trois jours après de précédents bombardements qui y avaient fait 17 morts.

Un dernier bilan de l’administration régionale de Zaporijjia faisait état de 13 morts et 60 blessés, dont des femmes et des enfants.

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Un pompier observe les dégâts d’une frappe sur un immeuble de Zaporijjia.

Selon l’armée de l’air ukrainienne, quatre missiles de croisière, deux missiles tirés depuis des avions de chasse et d’autres missiles de type antiaérien ont été utilisés contre la ville.

L’armée russe, elle, a affirmé dimanche avoir mené des frappes avec des « armes de haute précision » contre des unités de « mercenaires étrangers » dans la région.

Non loin de là, la centrale nucléaire de Zaporijjia, la plus grande d’Europe, a été reconnectée au réseau électrique dimanche.

La veille, l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) avait annoncé que l’installation avait perdu sa dernière source d’alimentation électrique externe en raison de nouveaux bombardements, et qu’elle s’appuyait sur des générateurs d’urgence pour fournir le courant dont elle a besoin pour assurer certaines fonctions de sécurité, dont le refroidissement de ses six réacteurs, tous à l’arrêt.

« Notre équipe à Zaporijjia confirme que la ligne d’alimentation extérieure perdue hier [samedi] a été rétablie et que [la centrale] est reconnectée au réseau — un soulagement temporaire face à une situation toujours intenable », a écrit le directeur général de l’AIEA, Rafael Grossi, sur son compte Twitter.

Par ailleurs, l’Assemblée générale de l’ONU doit se pencher à partir de lundi sur une résolution condamnant l’annexion de quatre régions ukrainiennes par la Russie. Les Occidentaux espèrent ainsi prouver l’isolement de Moscou sur la scène internationale.

Avec l’Agence France-Presse, la BBC et l’Associated Press