Le démantèlement de la « jungle » de Calais, qui accueillait alors près de 10 000 migrants, s’est entamé le 24 octobre 2016. Cinq ans plus tard, le bidonville qui avait tant marqué les esprits n’est plus. Les migrants, eux, sont toujours là, malgré la multiplication des interventions policières dans la dernière année, censées éviter qu’ils ne prennent la mer.

(Calais) Il est dimanche, 8 h. Le soleil vient de se lever sur Calais et, pour une fois, il ne pleut pas malgré la mi-octobre.

Les Calaisiens sont encore au lit, mais il y a déjà une vingtaine de policiers, regroupés dans quatre fourgons, ainsi que deux camions de nettoyage qui sillonnent les rues. Bien que presque rien ne soit ouvert aujourd’hui, les interventions envers les migrants, elles, se poursuivent quotidiennement.

Si le trajet des policiers n’est pas connu, les six ou sept lieux où se trouvent les migrants en ville, eux, le sont. Et pour ceux qui attendent de passer en Grande-Bretagne, déplacer leurs tentes est en fait devenu un rituel matinal pour éviter les contrôles et les saisies.

Au premier arrêt, sur un terrain privé près du stade du Souvenir, il n’y a plus personne. Les migrants se sont « auto-expulsés » sur la voie publique, tout juste à la limite du terrain. Les policiers ne peuvent donc pas intervenir.

Mais un peu plus loin, sur un autre « lieu de vie », des dizaines de migrants n’ont pas été aussi rapides.

« Chaque jour, ils viennent très tôt le matin pour prendre les tentes. Avec le froid, c’est un peu difficile quand même », s’attriste Cherrif, un migrant béninois.

On n’est pas venus ici pour faire du désordre avec la sécurité, avec la population française. On est venus seulement pour aller trouver la paix, pour voyager, pour tenter notre chance.

Cherrif, migrant béninois

Une heure plus tard, c’est au tour des Tigréens rassemblés près de l’hôpital de Calais d’avoir la visite des forces de l’ordre.

Comme pour chaque intervention, un immense périmètre de sécurité tient à distance journalistes et associations. L’opération, d’au plus 30 minutes auprès d’une quarantaine de migrants, aura laissé sans abri deux familles avec enfants.

PHOTO XAVIER SAVARD-FOURNIER, COLLABORATION SPÉCIALE

Tenus à l’écart de leur campement pendant une intervention policière, des migrants filment la scène pour conserver des preuves du passage des forces de l’ordre.

« Dans notre pays, nos parents vont à l’église tôt le dimanche matin, mais ici, dans les camps en France, nous, ce sont les policiers qui viennent », lance l’un des migrants.

Fini les « points de fixation »

Ce jeu du chat et de la souris matinal est un legs direct du démantèlement de la « jungle » de 2016.

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Le 25 octobre 2016 à Calais, dans le camp vidé de la majorité de ses occupants après l’expulsion

En plus des pressions politiques internationales, le Royaume-Uni et la France se relançant la balle sur cette question migratoire, le mot d’ordre des autorités est d’éviter les « points de fixation », c’est-à-dire le retour de tout type de campement durable à Calais.

Mais l’augmentation de la présence policière va bien au-delà des tournées dans les camps. Sur les plages, en mer et même dans les airs, les patrouilles se sont ajoutées aux kilomètres de murs et de barbelés qui font maintenant partie du paysage calaisien.

Plusieurs associations se plaignent d’ailleurs de ce « harcèlement » et de cette « démonstration de force inhumaine » des autorités contre les personnes migrantes. Dans l’espoir d’une trêve hivernale des actions contre les migrants, trois militants, dont le prêtre Philippe Demeestère, 72 ans, ont entamé une grève de la faim le 11 octobre dernier.

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Les militants Anais Vogel et Ludovic Holbein, et le père Philippe Demeestère (à droite), font la grève de la faim pour dénoncer les conditions de vie des migrants.

« De plus en plus, il y a ce rejet par la municipalité qui est décidément très hostile à la présence des exilés, explique M. Demeestère. Il y a une obstination qui laisse pantois parce qu’on ne comprend pas pourquoi des gens, qui sont réputés intelligents, s’obstinent à appliquer une politique sur le terrain qui se révèle complètement impuissante. »

Poussés à la mer

Toute cette présence policière n’a, en effet, pas diminué le nombre de passages vers la Grande-Bretagne, au contraire.

Dans son « Plan pour l’immigration » publié en mars 2021, le gouvernement britannique estimait que le nombre d’entrées irrégulières, toutes catégories confondues, est passé d’environ 14 000 entrées détectées en 2018 à plus de 16 000 en 2020.

La différence, c’est l’augmentation des passages par petits bateaux.

D’après des données du Home Office publiées dans la presse britannique fin septembre, plus de 17 000 migrants ont atteint les côtes britanniques depuis le début de l’année. C’est plus du double qu’en 2020.

PHOTO LOUIS WITTER, COLLABORATION SPÉCIALE

Gilet de sauvage pour enfant retrouvé sur la plage, près de Calais

« Il faut comprendre qu’on n’embarque ses enfants dans un bateau que si l’eau est plus sûre que la terre ferme », écrivait en 2010 la poétesse britannico-somalienne Warsan Shire, qui a elle-même fui la guerre civile.

Des mots venus d’Afrique, qui semblent avoir été parfaitement écrits pour expliquer la situation à Calais. Elle en pousse plus d’un à tenter sa chance en mer, plutôt qu’attendre la prochaine intervention policière française.