(Houston, Texas) Michael Minor a encore du mal à croire ce qui lui arrive.

« Je pensais que je vivrais dans la rue jusqu’à la fin de mes jours », souligne l’homme de 60 ans, qui s’est récemment fait attribuer un appartement d’une pièce dans un immeuble aéré et moderne situé au sud du centre-ville de Houston.

INFOGRAPHIE LA PRESSE

Jonathan Spears, qui travaille pour un organisme local luttant contre l’itinérance, Hope Haven, l’avait abordé quelques mois plus tôt pour lui faire remplir un questionnaire destiné à évaluer son admissibilité à un programme de relogement.

« Les gens dans la rue me disaient que c’était une arnaque, mais je ne les ai pas écoutés. Je voulais y croire », souligne M. Minor, qui survivait « en se droguant aux métamphétamines » et subissait de nombreuses crises psychotiques.

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Jonathan Spears, de l’organisme Hope Haven

C’est souvent difficile de convaincre les gens qu’ils peuvent réellement obtenir un logement avec notre aide.

Jonathan Spears, de l’organisme Hope Haven

Le rêve est devenu réalité pour l’ex-sans-abri qui présente, avec un large sourire, un cadre dans lequel il a placé un chandail des Cowboys de Dallas, son équipe de football fétiche, et une vieille couverture rappelant ses longues années face aux éléments.

  • Michael Minor, qui a habité pendant des années dans la rue, est tout sourire depuis qu’on lui a attribué un logement.

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    Michael Minor, qui a habité pendant des années dans la rue, est tout sourire depuis qu’on lui a attribué un logement.

  • L’homme de 60 ans a aménagé l’endroit à sa guise et montre avec satisfaction une table de cabaret dont il a récemment refait la finition.

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    L’homme de 60 ans a aménagé l’endroit à sa guise et montre avec satisfaction une table de cabaret dont il a récemment refait la finition.

  • Robert Tyler, un de ses voisins, a aussi obtenu un logement après avoir passé des années dans la rue. Il était très ému en retrouvant Jonathan Spears, un travailleur de rue qui avait fait il y a quelques mois l’évaluation ayant lancé le processus.

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    Robert Tyler, un de ses voisins, a aussi obtenu un logement après avoir passé des années dans la rue. Il était très ému en retrouvant Jonathan Spears, un travailleur de rue qui avait fait il y a quelques mois l’évaluation ayant lancé le processus.

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« Tout ce que je voulais avant, c’était me droguer, mais j’ai décidé de me prendre en main », note M. Minor, qui a récemment renoué avec sa famille.

Son récit rappelle celui de l’un de ses nouveaux voisins, Robert Tyler, qui a aussi hérité d’un appartement dans le même immeuble grâce à l’aide de M. Spears.

Les deux hommes s’étaient perdus de vue après que le travailleur de rue a évalué son dossier il y a plusieurs mois.

« Tu m’as sauvé la vie ! », a répété avec émotion M. Tyler à plusieurs reprises avant de le prendre dans ses bras lors du passage de La Presse.

« J’aurais pu mourir tellement de fois. J’ai des tonnes de cicatrices dans le visage qui témoignent des fois où j’ai été battu ou braqué », a ajouté l’homme de 47 ans, qui souffre d’alcoolisme depuis des années.

Il y a quelques mois, la nouvelle que des inconnus cherchaient à le joindre l’a d’abord inquiété. L’annonce qu’un logement l’attendait l’a ensuite stupéfait.

La joie de M. Tyler a été tempérée par la découverte d’un cancer, pour lequel il se fait traiter, mais l’avenir semble plus prometteur.

  • Derrick Escobedo porte sur le corps de nombreux tatouages témoignant de son appartenance passée à un gang criminalisé.

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    Derrick Escobedo porte sur le corps de nombreux tatouages témoignant de son appartenance passée à un gang criminalisé.

  • L’obtention d’un logement il y a trois mois marque la fin de longues années d’itinérance, ponctuées de plusieurs séjours en prison.

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    L’obtention d’un logement il y a trois mois marque la fin de longues années d’itinérance, ponctuées de plusieurs séjours en prison.

  • Le marbre du comptoir de la cuisine, l’écran plat du salon et le placard de plain-pied de la chambre à coucher sont des luxes dont l’homme de 34 ans ne pouvait que rêver lorsqu’il dormait dans son auto.

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    Le marbre du comptoir de la cuisine, l’écran plat du salon et le placard de plain-pied de la chambre à coucher sont des luxes dont l’homme de 34 ans ne pouvait que rêver lorsqu’il dormait dans son auto.

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Derrick Escobedo est un autre ancien sans-abri vivant dans la région de Houston qui a pu trouver un toit dans les derniers mois après des années de dérive.

En nous faisant visiter son petit appartement en périphérie du centre-ville, l’homme de 34 ans, originaire de Fort Worth, est radieux.

C’est la première fois que j’ai un logement avec un vrai bail à mon nom et tout.

Derrick Escobedo, 34 ans

Sa vie a pris une tournure tragique en bas âge lorsque son père a tué sa mère en la happant avec une voiture.

Une grand-mère a tenté de s’occuper de lui et des autres enfants de la famille, mais n’a pas tenu longtemps.

Après avoir été placé dans une maison d’accueil au début de l’adolescence, M. Escobedo a pris la fuite. Les années suivantes ont été partagées entre la rue et la prison.

C’est en étant placé temporairement dans un centre d’hébergement transitoire l’année dernière qu’il a vu pour la première fois des gens traiter des sans-abri « avec gentillesse ».

« Durant toutes les années où j’étais dans la rue, ça ne m’était jamais arrivé », note M. Escobedo, qui travaille aujourd’hui pour Career and Recovery Resources, une organisation locale pilotant notamment un programme de réinsertion professionnelle pour sans-abri.

Un effort de longue date

Le tournant positif survenu dans la vie de ces anciens sans-abri est le reflet d’un effort concerté qui a pris forme il y a une dizaine d’années.

La Coalition pour les sans-abri de Houston, un organisme apolitique sans but lucratif, a entrepris de structurer les efforts de nombreux groupes travaillant sur l’itinérance pour maximiser leur effet.

La priorité a été donnée à l’approche dite de « Logement d’abord » pour refléter les exigences du gouvernement fédéral, dont dépend largement le financement du programme, baptisé The Way Home.

Son objectif premier est de venir en aide aux plus vulnérables, qui sont susceptibles « de mourir dans la rue », en leur offrant un logement de longue durée sans condition préalable même s’ils souffrent, par exemple, d’alcoolisme ou de toxicomanie ou présentent d’importants problèmes de santé mentale.

Des services de soutien, assortis d’un suivi soutenu, leur sont offerts par la suite pour faire face à ces enjeux et faciliter leurs efforts de réinsertion.

L’accès à un logement pour une durée d’un an ou moins est aussi possible pour des cas moins complexes.

L’idée de base est que personne ne peut se remettre du traumatisme de l’itinérance avant d’avoir un endroit sécuritaire qu’il peut considérer comme sa maison.

Mike Nichols, dirigeant de la Coalition pour les sans-abri

Certaines organisations participantes se spécialisent dans le travail de terrain et abordent les sans-abri pour les évaluer et formaliser leur entrée dans le système d’accès au logement. D’autres s’occupent de la phase d’aménagement en appartement ou fournissent un soutien à long terme avec des services adaptés.

M. Nichols note que l’approche de la coalition est « responsable » sur le plan économique puisqu’il est moins coûteux, selon lui, de loger les sans-abri les plus fragiles que de payer pour les services publics qu’ils mobilisent en demeurant dans la rue, notamment pour des soins de santé.

L’approche est aussi responsable, dit le gestionnaire, sur le plan moral. « Une société civilisée ne devrait pas avoir de gens qui vivent dans la rue », souligne-t-il.

Pas de miracles

Bien que des dizaines de milliers de sans-abri aient été logés depuis 2012, l’itinérance n’a pas disparu à Houston, comme on le constate rapidement une fois sur place.

Des personnes dorment dans les entrées de commerce au petit matin et des camps de tentes continuent de se former, en particulier sous les autoroutes surélevées qui bordent le centre-ville.

Mark Eichenbaum, qui conseille le maire de Houston en matière de lutte contre l’itinérance, note que ces camps projettent une image problématique.

La population ne voit pas les milliers de sans-abri qui ont trouvé un logement, mais continue de voir des camps, une situation susceptible de miner l’appui public au programme The Way Home, que les autorités municipales soutiennent avec enthousiasme.

Une campagne d’envergure a été lancée pour démanteler les camps en logeant les personnes qui les occupent, quitte à accepter que certaines d’entre elles ne figurent pas nécessairement parmi les plus vulnérables selon la grille d’évaluation en vigueur.

M. Nichols note à ce titre que la Coalition doit parfois faire preuve de « pragmatisme » pour atteindre ses objectifs.

Une bataille qui n’est jamais terminée

Les intervenants rencontrés par La Presse se réjouissent de la chute de l’itinérance dans la ville, mais préviennent que la bataille n’est jamais terminée.

La flambée du marché immobilier local a entraîné une pression à la hausse sur les loyers et fait exploser le nombre d’expulsions.

Dana Karni, une avocate de Lone Star Aid soutenant les locataires qui contestent leur avis d’éviction, note que la situation est susceptible de pousser nombre de personnes dans l’itinérance.

« Je l’entends tout le temps avec les gens que je représente. Ils disent qu’ils n’auront pas d’autre endroit où vivre s’ils sont forcés de partir », relate-t-elle.

La situation complique la recherche de logements par la Coalition et fait augmenter le temps qu’il faut pour en attribuer un aux sans-abri jugés admissibles. Le délai d’attente moyen, qui est aujourd’hui de près de deux mois, a augmenté d’une quinzaine de jours depuis un an.

Pour faire face à la situation, la Coalition envisage de placer deux personnes par logement.

Pas pour tout le monde

Bien que l’approche utilisée à Houston donne d’excellents résultats, elle n’est pas garante de succès pour tout le monde.

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La fondatrice de Hope Haven, Kristyn Stillwell

Les sans-abri qui vivent dans la rue depuis longtemps ont parfois du mal à se faire à l’idée de vivre dans un espace restreint et peinent à s’ajuster, note Kristyn Stillwell, fondatrice de Hope Haven.

  • Briana Mitchell, une femme de 31 ans croisée en périphérie du centre-ville de Houston, se déplace avec un panier d’épicerie contenant ses biens. Elle dort normalement dans une cabane de fortune aménagée derrière un magasin au rabais.

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    Briana Mitchell, une femme de 31 ans croisée en périphérie du centre-ville de Houston, se déplace avec un panier d’épicerie contenant ses biens. Elle dort normalement dans une cabane de fortune aménagée derrière un magasin au rabais.

  • Lorsque La Presse l’a croisée il y a quelques semaines, elle tentait de vendre des bouteilles d’eau. « Je suis fatiguée de ne rien faire », a-t-elle expliqué.

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    Lorsque La Presse l’a croisée il y a quelques semaines, elle tentait de vendre des bouteilles d’eau. « Je suis fatiguée de ne rien faire », a-t-elle expliqué.

  • La sans-abri s’est déjà fait offrir un logement, mais elle l’a quitté rapidement. Elle a accepté de relancer son dossier avec l’aide de Jonathan Spears, de l’organisation Hope Haven, parce qu’elle espère pouvoir renouer avec ses enfants.

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    La sans-abri s’est déjà fait offrir un logement, mais elle l’a quitté rapidement. Elle a accepté de relancer son dossier avec l’aide de Jonathan Spears, de l’organisation Hope Haven, parce qu’elle espère pouvoir renouer avec ses enfants.

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Briana Mitchell, une femme de 31 ans croisée en périphérie du centre-ville, a obtenu un logement il y a plusieurs mois, mais a rapidement choisi de le quitter.

« Je suis partie une journée pour retrouver mes amis ici et je ne suis pas retournée, c’était trop bizarre d’être à l’intérieur », a expliqué Mme Mitchell, qui a relancé une nouvelle demande de logement avec l’aide de Jonathan Spears lors de notre passage.

« J’aimerais retrouver mes enfants. Je ne les vois pas parce que je ne veux pas qu’ils me voient comme ça. J’ai honte de ma situation », souligne Mme Mitchell, qui a le nom de sa fille tatoué sur l’épaule droite.

L’Américaine reconnaît d’emblée que le processus ne sera sans doute pas facile.

« Dans ma tête, je suis prise dans la rue », prévient-elle.

28 000

Nombre de sans-abri ayant obtenu un logement depuis 2012 dans le cadre du programme The Way Home

3250

Nombre de sans-abri à Houston au moment du recensement mené en 2023, soit près de 60 % de moins qu’une décennie plus tôt

75 millions

Fonds publics dont l’utilisation a été coordonnée par la Coalition pour les sans-abri de Houston en 2020