(New York) Depuis 1976, chacune des élections présidentielles américaines a été précédée par au moins deux débats télévisés entre les principaux candidats. Avec le temps, les médias – et les électeurs – en sont venus à croire que ces rendez-vous participent d’une tradition immuable. Or, en 2024, ils pourraient en être privés.

Pourquoi ? Les raisons sont nombreuses. Commençons par la plus évidente : Donald Trump. L’ancien président a déjà démontré que son non-respect des normes s’étendait aux débats. Il a refusé de participer au troisième face-à-face de 2020 sous prétexte qu’il était virtuel (il venait d’être déclaré positif à la COVID-19). Et il a fait l’impasse sur tous les débats durant les primaires républicaines de 2024.

Bien sûr, Donald Trump répète ces jours-ci qu’il est prêt à débattre avec Joe Biden « n’importe quand et n’importe où ». Passons sur le fait qu’il ne pourra le faire pendant les longues heures qu’il devra passer dans la salle d’audience où se déroule son procès à New York en lien avec l’affaire Stormy Daniels.

Le fait est que tout ce que dit Donald Trump n’est pas parole d’Évangile. Susan Drucker, politologue à l’Université Hofstra de Long Island et spécialiste des débats présidentiels, compare d’ailleurs les déclarations de l’ancien président à propos des débats à ceux qu’il tient avant ou pendant ses procès.

Il dit toujours : “Je veux témoigner, ne me retenez pas.” Mais il attend que ses avocats lui disent : ‘‘Ne soyez pas stupide, ne témoignez pas.’’ Je pense qu’il se passe quelque chose de similaire concernant les débats.

Susan Drucker, politologue à l’Université Hofstra

Le Comité national républicain représente un autre obstacle. En 2022, cet organisme qui gère le Grand Old Party a décidé de ne plus participer aux affrontements organisés par la Commission sur les débats présidentiels après avoir dénoncé Chris Wallace, un des modérateurs.

Qu’à cela ne tienne : la Commission a déjà annoncé la tenue de trois débats présidentiels en 2024. Le premier est prévu le 16 septembre au Texas, le deuxième le 1er octobre en Virginie et le troisième le 9 octobre dans l’Utah.

Joe Biden, lui, a ses propres réserves. Interrogé sur sa participation éventuelle aux débats présidentiels, il a répondu, en faisant allusion à Donald Trump : « Ça dépend de son comportement. »

Un « putain de malade »

Le président n’a sans doute pas oublié son expérience lors du premier débat présidentiel de 2020, celui où son rival n’a cessé de l’interrompre, tant et si bien qu’il a fini par s’exclamer, sur un ton excédé : « Vas-tu te taire ? »

Mais les réserves de Joe Biden sont peut-être plus profondes. Car Donald Trump n’est pas seulement mal dégrossi. Il fait l’objet de quatre affaires criminelles, dont deux sont liées à ses efforts pour inverser les résultats de l’élection présidentielle de 2020. Aux yeux de Joe Biden, il représente non seulement une menace pour la démocratie, mais également un affront au genre humain (« Quel putain de malade », dit-il à son entourage au sujet de l’ancien président).

Comment peut-il vouloir débattre avec un tel homme ?

Être sur la même scène que Donald Trump, c’est une façon de légitimer ou de normaliser l’anormal. Mais je pense que Trump serait plus susceptible de refuser de participer à un débat que Biden.

Susan Drucker, politologue à l’Université Hofstra

Car Biden est plus respectueux des normes, selon elle. Et il sait sans doute que des électeurs entretiennent encore des doutes sur ses capacités cognitives (« Il ne peut pas [participer à des débats] parce qu’il ne peut pas parler », a déclaré récemment Donald Trump).

Néanmoins, David Frum, commentateur conservateur anti-Trump, conseille à Joe Biden d’être celui qui dira non à des débats présidentiels qui l’opposeraient à un homme qu’il considère comme un fomenteur d’insurrection.

« De nombreuses institutions de la vie américaine ont des habitudes et des motivations qui les conduisent à traiter la tentative de coup d’État de Trump comme une politique normale », a écrit David Frum la semaine dernière dans le magazine The Atlantic. « La télévision et les autres médias de masse ont des habitudes et des motivations pires que celles de la plupart de ces institutions. Mais le président Biden n’a pas besoin de s’y complaire. »

David Frum a écrit son article après la publication d’une lettre signée par 12 organisations médiatiques et exhortant Joe Biden et Donald Trump à s’engager à participer à des débats présidentiels en 2024.

« S’il y a une chose sur laquelle les Américains peuvent s’entendre en cette période de clivage, c’est que les enjeux de cette élection sont exceptionnellement élevés », ont déclaré les organisations, dont ABC, CBS, NBC, CNN et Fox. « Dans ce contexte, rien ne peut remplacer le fait que les candidats débattent entre eux et devant le peuple américain de leur vision de l’avenir de notre nation. »

Comme le rappelle David Frum, ces médias ne sont pas désintéressés. Les débats font grimper les taux d’audience à une époque où les grands-messes télévisuelles sont de plus en plus rares.

La question demeure entière : y aura-t-il des débats présidentiels en 2024 ?

« J’ai des doutes », répond Susan Drucker, qui a observé des débats présidentiels sur le campus de l’Université Hofstra en 2008, 2012 et 2016.

« Je pense que la perception des débats est qu’il s’agit d’un rituel sur lequel nous pouvons compter et qui s’inscrit dans le cycle présidentiel. Il est donc étonnant pour certains que cela pourrait ne pas se produire. »

Selon elle, la condamnation de Donald Trump à New York pourrait régler l’affaire.

« S’il est reconnu coupable d’un crime, je pense que Biden sera particulièrement bien placé pour dire qu’il n’est pas approprié que le président des États-Unis partage la scène avec un criminel reconnu qui a tenté de tromper le peuple américain lors d’une élection antérieure. »

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