(New York) « Vous allez rire, mais j’ai voté pour Robinson. »

Au bout du fil, Stephen Porter passe aux aveux au milieu d’une interview sur le triomphe retentissant du lieutenant-gouverneur de la Caroline du Nord, Mark Robinson. Mardi dernier, cet ancien ouvrier d’une usine de meubles a remporté haut la main la primaire républicaine pour l’élection au poste de gouverneur du neuvième État américain.

Résultat : un candidat taxé d’antisémitisme, d’homophobie et de complotisme caractérisé portera la bannière du Grand Old Party à l’occasion d’un scrutin qui est déjà considéré comme le deuxième en importance en 2024 aux États-Unis après l’élection présidentielle.

En apportant son soutien à cet Afro-Américain de 55 ans, le 2 mars dernier, Donald Trump l’a bizarrement comparé à « Martin Luther King sous stéroïdes ». Frank Bruni, chroniqueur au New York Times et résidant de la Caroline du Nord, a plutôt vu en lui un « Donald Trump sous stéroïdes ».

« Je dois admettre que ç’a été un choix difficile », a enchaîné au téléphone Stephen Porter, professeur d’université et militant au sein du Parti républicain du comté de Wake, où se trouve Raleigh, la capitale de la Caroline du Nord. « Est-ce que je fais une erreur ? Est-ce que j’aide le candidat démocrate à se faire élire gouverneur ? Ces questions m’ont traversé l’esprit. »

Au bout du compte, Stephen Porter a levé le nez sur le principal adversaire de Mark Robinson, Dale Folwell, trésorier de la Caroline du Nord, jugeant qu’il n’était qu’un « RINO », un politicien n’ayant de républicain que le nom.

Et il a passé outre les « erreurs non forcées » de Mark Robinson. Il a employé cette formule pour décrire certains commentaires incendiaires du lieutenant-gouverneur, dont le suivant, qui l’« a vraiment fait grincer des dents » : « Il n’y a aucune raison pour que quiconque, où que ce soit en Amérique, parle à un enfant du transgenrisme, de l’homosexualité ou d’une quelconque de ces saletés. »

Mais il ne s’agit que d’un exemple parmi quantité d’autres déclarations qui sont susceptibles d’aider la cause de l’adversaire démocrate de Mark Robinson, Josh Stein, actuel procureur général de la Caroline du Nord.

« Commentaires incendiaires »

Comme plusieurs antisémites américains ou européens, Mark Robinson voit le financier et philanthrope George Soros dans sa soupe. Il l’a notamment accusé d’avoir orchestré l’enlèvement de centaines d’écolières du Nigeria par les djihadistes de Boko Haram en 2014. De façon générale, il trouve que les médias parlent trop des méfaits des nazis et pas assez de ceux de George Soros, important donateur du Parti démocrate.

« George Soros est vivant. Adolf Hitler est mort », a-t-il écrit sur sa page Facebook, où il a également semé la controverse sur l’Holocauste et mis en doute le récit officiel de plusieurs autres évènements historiques, y compris la conquête de la Lune, les attentats terroristes du 11-Septembre, et la fusillade de Las Vegas en 2017 et celle de Parkland en 2018.

Il va sans dire qu’il a adhéré aux théories du complot de Donald Trump sur le lieu de naissance de Barack Obama et le trucage de l’élection présidentielle de 2020. Et il n’a pas épargné certaines des femmes les plus admirées aux États-Unis, qualifiant Michelle Obama d’« homme », Hillary Clinton de « génisse » et Oprah Winfrey de « raciste ».

Mais comment un tel homme est-il devenu aussi populaire au sein du Parti républicain de Caroline du Nord ? Mark Robinson est sorti de l’anonymat en avril 2018 grâce à la vidéo virale de son intervention devant le conseil municipal de Greensboro pour défendre le droit aux armes à feu et le travail des policiers1.

« J’ai entendu beaucoup de gens ici parler ce soir de tel ou tel groupe. Ce que je veux savoir, c’est quand allez-vous commencer à défendre la majorité ? Et voici qui est la majorité. Je suis la majorité », a-t-il déclaré1.

Du jour au lendemain, Mark Robinson est devenu une vedette au sein des médias de droite. Moins de deux ans plus tard, ce tribun charismatique se faisait élire au poste symbolique de lieutenant-gouverneur, tandis que le gouverneur démocrate Roy Cooper décrochait son deuxième (et dernier) mandat.

Et le voici aujourd’hui en quête d’une promotion historique. A-t-il vraiment une chance de devenir le premier gouverneur noir de la Caroline du Nord ?

Eric Heberlig, politologue à l’Université de Caroline du Nord à Charlotte, répond à la question avec circonspection. « Mark Robinson a l’habitude de faire des commentaires incendiaires », dit-il d’entrée de jeu.

À l’ère de Donald Trump, cela n’est pas rédhibitoire dans une primaire républicaine. Nous verrons à quel point c’est un obstacle dans une élection générale où il faut séduire un électorat beaucoup plus modéré et diversifié.

Eric Heberlig, politologue à l’Université de Caroline du Nord à Charlotte

En attendant, Mark Robinson se défend d’être antisémite. En novembre dernier, il a tenté de le prouver en se rendant en Israël pour exprimer sa solidarité avec le peuple de ce pays en guerre. Il a également formulé des excuses pour ce message publié sur sa page Facebook où il semblait nier l’Holocauste (« Le fait qu’Hitler ait désarmé des millions de Juifs pour les envoyer ensuite dans des camps de concentration est un ramassis de balivernes », a-t-il écrit).

« Je m’excuse pour la formulation, pas nécessairement pour le contenu, a-t-il déclaré. Nous avons parlé à plusieurs groupes juifs qui comprennent parfaitement nos sentiments. Nous sommes convaincus que les habitants de la Caroline du Nord comprennent que Mark Robinson n’est absolument pas antisémite. »

Cette déclaration est révélatrice à d’autres égards : Mark Robinson ne se contente pas de parler de lui-même à la troisième personne, il emploie le « nous » royal. Tout compte fait, il n’est peut-être pas faux de dire qu’il se prend pour un « king ».

Voyez l’intervention de Mark Robinson devant le conseil municipal de Greensboro