Des organisations pro-choix qui aident des Américaines à obtenir un avortement par voie médicamenteuse promettent de poursuivre leurs activités à l’échelle du pays même si la Cour suprême tente de limiter ou d’interdire cette pratique dans un jugement attendu.

Ce qu’il faut savoir

  • L’avortement par voie médicamenteuse représente aujourd’hui l’une des méthodes les plus utilisées aux États-Unis pour interrompre une grossesse.
  • Des groupes antiavortement ont saisi les tribunaux dans l’espoir d’éviter que des organisations pro-choix envoient les médicaments requis par voie postale dans des États où les interruptions de grossesse sont interdites.
  • La Cour suprême doit rendre une décision relativement à l’accès au mifépristone, l’un des médicaments en question, qui pourrait limiter l’accès à cette pratique transfrontalière. Des travailleurs de la santé promettent de braver d’éventuelles restrictions à ce sujet.

C’est le cas notamment d’Aid Access, qui permet chaque mois à des milliers de femmes de recevoir à domicile, par la poste, les doses de mifépristone et de misopristol requises pour interrompre leur grossesse, incluant dans nombre d’États où l’avortement est interdit sous toutes ses formes.

Les membres de l’organisation qui s’occupent des consultations en ligne nécessaires pour obtenir les médicaments « ont l’intention de continuer » quoi qu’en dise le plus haut tribunal américain, prévient Rebecca Gomperts, qui dirige Aid Access.

« Ils sont déterminés à poursuivre leur travail », explique à La Presse Mme Gomperts, une médecin prochoix d’origine néerlandaise qui a créé le programme en 2018 en réaction au fait qu’un nombre croissant d’États multipliaient les restrictions pour accéder à l’avortement.

La pandémie de COVID-19 et la pléthore de lois restrictives ayant suivi en 2022 le renversement par la Cour suprême de l’arrêt Roe c. Wade ont fait exploser la demande.

Les femmes intéressées prennent contact avec Aid Access et sont redirigées vers des travailleurs de la santé qualifiés aux États-Unis qui vérifient à quel stade est rendue leur grossesse et qui leur expliquent la marche à suivre avant d’approuver l’envoi des médicaments.

Les médicaments sont acheminés par l’entremise d’enveloppes non marquées, ce qui rend leur détection très compliquée, incluant dans les États ayant interdit l’avortement sous toutes ses formes.

PHOTO SOPHIE PARK, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

Les doses médicamenteuses pour avortement préparées par Aid Access sont acheminées par l’entremise d’enveloppes non marquées.

Plusieurs groupes antiavortement ont décidé de saisir les tribunaux pour mettre fin à cette pratique en s’attaquant à l’accès au mifépristone, qui a été approuvé par la Food and Drug administration (FDA) il y a une vingtaine d’années.

La Cour suprême entend se saisir du dossier

Tout en rejetant la demande visant à révoquer l’approbation du médicament par la FDA, les tribunaux ont cautionné l’idée qu’il fallait resserrer les conditions d’accès en revenant aux normes en vigueur en 2016.

Ces règles obligeaient notamment les femmes voulant interrompre leur grossesse à se présenter en personne devant un médecin, une exigence qui pourrait contraindre les résidantes des États où l’avortement est interdit à parcourir des centaines de kilomètres plutôt qu’à procéder discrètement en ligne.

La Cour suprême a annoncé en décembre qu’elle entendait se saisir du dossier et qu’elle prévoit entendre les parties concernées au cours de l’été.

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La Cour suprême des États-Unis, lundi

Amy Merrill, cofondatrice de Plan C, une organisation de soutien aux femmes désirant un avortement, note que les restrictions demandées n’ont « aucun fondement scientifique ou médical ».

La prescription à distance et la prise de mifépristone en combinaison avec le misopristol ont fait leurs preuves et ne présentent pas de risques majeurs, dit Mme Merrill, qui dénonce les motivations « politiques » derrière la contestation en cours.

La présence d’organisations comme Aid Access et de pharmacies en ligne garantit que les médicaments demeureront accessibles quoi qu’il arrive, relève l’administratrice.

Il est aussi possible de précipiter un avortement uniquement avec le misopristol même si l’efficacité est moindre et que les effets secondaires sont plus importants, note Mme Merrill.

Lois « boucliers »

Rachel Rebouché, professeure de droit de l’Université Temple, note qu’une demi-douzaine d’États pro-choix ont adopté depuis le renversement de Roe c. Wade des lois « boucliers » visant à protéger contre toute poursuite les travailleurs de la santé qui facilitent l’accès à l’avortement.

Ces lois précisent explicitement que la protection s’applique aussi aux actes en soutien à des personnes vivant dans d’autres États.

« Elles n’ont pas encore été testées devant les tribunaux », souligne Mme Rebouché, qui s’attend à ce que les différends juridiques entre États opposés sur la question de l’avortement se multiplient.

Certains gouvernements locaux imposent des sanctions très sévères aux professionnels qui pratiquent des avortements malgré les interdictions en vigueur.

Au Texas, ils s’exposent à une peine de prison maximale de 100 ans et 100 000 $ par intervention, mais des questions de compétence territoriale font qu’un médecin prescrivant les médicaments de l’État voisin n’est pas nécessairement passible de poursuite.

Les interventions du gouvernement fédéral, qui a le pouvoir d’approuver et de baliser l’utilisation des médicaments utilisés pour avorter, ajoutent à la complexité juridique de la situation.

Mme Gomperts note que les travailleurs de la santé américains avec qui elle collabore entendent utiliser les lois boucliers pour se protéger au besoin.

Ils pourraient aussi évoquer leur obligation professionnelle d’offrir les meilleurs soins possible à leurs patients pour tenter de se soustraire à la justice, dit-elle.

La fondatrice d’Aid Access note que son organisation conservera toujours l’option de revenir à son ancienne structure si les pressions juridiques se font trop fortes aux États-Unis.

Les ordonnances étaient préalablement produites aux Pays-Bas et les médicaments étaient envoyés aux États-Unis par un fabricant établi en Inde, rendant tout recours judiciaire par des groupes américains extrêmement complexe.

« On va voir comment les choses vont se passer », conclut Mme Gomperts.