(New York) Joe Biden ne peut pas se vanter d’avoir torpillé à lui seul les ambitions présidentielles de Rudolph Giuliani, qui y a mis du sien tant et plus. Mais il a été l’un des premiers Américains à entrevoir les limites de la date sur laquelle l’ancien maire de New York misait pour atteindre la Maison-Blanche.

« Rudy Giuliani. Il n’y a que trois choses qu’il mentionne dans une phrase : un nom, un verbe et le 11-Septembre », a-t-il ironisé lors d’un débat télévisé entre les candidats à l’investiture démocrate pour l’élection présidentielle de 2008.

« Il n’y a rien d’autre ! Il n’y a rien d’autre ! », a-t-il répété en suscitant des rires et des applaudissements parmi les membres de l’auditoire.

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Rudy Giuliani en août dernier

En ce 22e anniversaire du 11-Septembre, les limites de cette date sont devenues évidentes. Même si la menace du terrorisme transnational n’a pas disparu, elle n’occupe plus un rôle central dans la vie politique des États-Unis. Elle a été remplacée par une autre menace, qui a connu son paroxysme le 6 janvier 2021, nouvelle date fatidique autour de laquelle s’articule désormais le combat politique américain.

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Des partisans de Donald Trump, lors de l’assaut sur le Capitole du 6 janvier 2021

Et le sort a voulu que Joe Biden et Rudolph Giuliani se retrouvent aujourd’hui dans les camps opposés de ce combat mettant de nouveau en jeu l’avenir de la démocratie américaine.

Vol 93

Ce combat n’a pas commencé le jour de l’attaque contre le Capitole des États-Unis, cible probable du vol 93 de United qui s’est écrasé au milieu d’un champ en Pennsylvanie après une révolte des passagers informés par téléphone des attentats sur les tours du World Trade Center.

Le hasard – un autre – veut que ce combat ait été défini à quelques jours du 15e anniversaire du 11-Septembre par un ancien rédacteur de discours de Rudolph Giuliani (et de Rupert Murdoch). Le 5 septembre 2016, Michael Anton a publié un essai intitulé The Flight 93 Election (L’élection du vol 93), sous le pseudonyme Publius Decius Mus.

Dans ce texte dont le roi défunt de la radio conservatrice Rush Limbaugh a lu et relu de longs passages à ses millions d’auditeurs, l’auteur comparait ni plus ni moins Hillary Clinton et les démocrates aux terroristes d’Al-Qaïda.

Et il exhortait les électeurs américains à sauver leur pays en votant pour Donald Trump, tout imparfait fût-il. Allant au bout de sa métaphore, il assimilait un vote pour le candidat républicain à l’assaut du cockpit par les passagers du vol 93.

« Il n’y a aucune garantie. Sauf une : si vous n’essayez pas, la mort est certaine », écrivait Michael Anton en amorce de son essai publié sur le site de la Claremont Review of Books.

Après l’assaut du Capitole par des partisans de Donald Trump, ce même Anton s’est réjoui du fait que « l’esprit révolutionnaire ayant donné naissance à cette nation ne soit pas complètement mort ».

Une autre coïncidence. La semaine dernière, le juge fédéral de Washington Timothy Kelly a utilisé une expression semblable – « zèle révolutionnaire » – en s’adressant à l’ancien chef des Proud Boys.

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Enrique Tarrio (au centre), membre des Proud Boys récemment condamné à la prison, lors d’une manifestation du groupe d’extrême droite à Portland, en Oregon, en septembre 2020

« Il est difficile d’exprimer l’importance d’un transfert pacifique du pouvoir », a déclaré le juge Kelly en condamnant à 22 ans de prison Enrique Tarrio, plus lourde peine prononcée contre des membres des groupes d’extrême droite Proud Boys et Oath Keepers pour l’assaut contre le Capitole.

Notre pays a été fondé comme une expérience de gouvernance par le peuple, mais il ne pourra pas durer longtemps si la façon dont nous élisons nos dirigeants est menacée par la force et la violence. M. Tarrio était le leader ultime, la personne ultime qui organisait, qui était motivée par le zèle révolutionnaire.

Le juge fédéral de Washington Timothy Kelly

En ce 11 septembre 2023, les plus hauts responsables des forces de l’ordre américaines considèrent que les suprémacistes blancs et les partisans de l’extrême droite constituent la plus grande menace terroriste intérieure aux États-Unis.

Ennemi mortel

Joe Biden a fait de la lutte contre ces mouvements extrémistes une priorité. Tout comme il a promis de combattre la montée de l’autoritarisme à l’étranger et dans son propre pays après l’attaque du Capitole, profanation du sanctuaire de la démocratie américaine.

Mais une partie importante des électeurs américains ne veut pas de son combat, voyant le président et ses alliés démocrates non pas comme une opposition loyale ou légitime, mais comme un ennemi mortel.

Cette hostilité ne vise pas seulement les démocrates, mais l’ensemble du gouvernement fédéral, ce que Donald Trump et ses alliés appellent « l’État profond ». Le 29 août dernier, une coalition de groupes conservateurs a dévoilé un plan ambitieux de plusieurs organisations conservatrices en vue du retour de Donald Trump ou de tout autre président républicain à la Maison-Blanche.

Dans un document de 1000 pages intitulé « Project 2025 », cette coalition conservatrice menée par le groupe de réflexion The Heritage Foundation propose de virer jusqu’à 50 000 fonctionnaires fédéraux dès le premier jour d’une nouvelle administration Trump et de les remplacer par des personnes partageant la vision de l’ancien président, y compris au sein du ministère de la Justice et du FBI.

Donald Trump et son entourage ont un projet semblable, qui s’appuierait sur un décret présidentiel révoqué par Joe Biden, et dont le retour permettrait de créer une nouvelle catégorie de fonctionnaires fédéraux susceptibles d’être congédiés selon le bon vouloir du président.

Vingt-deux ans après le 11-Septembre, les États-Unis ne sont pas à l’abri d’une nouvelle attaque terroriste transnationale. Mais cette menace est éclipsée pour le moment par le 6-Janvier, date fatidique dont les Américains n’ont probablement pas encore fini de mesurer les conséquences.