Pour la première fois, un ex-président américain a dû s’inscrire dans le registre d’une prison et se soumettre au rituel du mugshot, la prise de la photo d’identité judiciaire. Qu’est-ce qui différencie cette cause en Géorgie des autres contre Donald Trump ? La Presse en a discuté avec trois experts en politique américaine.

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En quoi cette quatrième mise en accusation est-elle différente pour Donald Trump ?

D’abord, la prise de la fameuse photo a une portée symbolique importante, souligne Rafael Jacob, chercheur associé à la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques. « C’est une première en soi », rappelle-t-il. Et un nouvel outil publicitaire dans le coffre de Donald Trump, qui continue de crier à la chasse aux sorcières.

Donald Trump n’a pas attendu, d’ailleurs, publiant rapidement son nouveau portrait sur sa plateforme Truth Social et sur X, son premier tweet depuis 2021.

N’empêche, ce qui se passe en Géorgie a de quoi inquiéter l’ex-président. Pourquoi ? Parce que la cause est menée par un État – la Géorgie – et non pas au niveau fédéral, expliquent les experts. Ça change bien des choses.

« Dans le cadre d’une condamnation potentielle, si Donald Trump gagnait l’élection présidentielle, ce serait très difficile pour lui de faire annuler les procédures en Géorgie, parce que le pardon présidentiel ne s’applique pas aux crimes commis à l’échelle des États », explique en entrevue la chercheuse associée à la Chaire Raoul-Dandurand, Amélie Escobar.

Chaque État a son propre processus pouvant mener à un pardon. En Géorgie, une commission indépendante a ce pouvoir, et elle exige généralement une peine de prison de cinq ans avant de procéder, renchérit Mme Escobar.

« Comme c’est à l’échelle de l’État, Trump ne peut pas dire que c’est Biden qui a donné les instructions au gouvernement de le poursuivre », souligne aussi le professeur de science politique américano-canadien Graham Dodds.

Autre différence majeure avec un procès au niveau étatique plutôt que fédéral : il pourrait être diffusé en direct. « Les causes fédérales ne sont jamais télédiffusées, tandis que dans ce cas-ci, toute l’Amérique pourrait regarder », ajoute celui qui enseigne à l’Université Concordia.

Qu’est-ce qui explique que Trump soit toujours aussi populaire ?

« Le Parti républicain reste le parti de Donald Trump, pour l’instant », estime Mme Escobar. « C’est devenu un culte de la personnalité. Sa base est convaincue qu’il est victime d’une machination politique et que c’est forcément un complot et une manigance qui vise à le déstabiliser dans le cadre d’une élection présidentielle », ajoute-t-elle.

« C’est une question de tribalisme », analyse Rafael Jacob. « C’est comme le ralliement derrière le leader de la tribu. [Tous ces procès], ça renforce son message, ce que Donald Trump dit depuis des années, soit qu’il est victime d’une chasse aux sorcières, victime des institutions, des élites. Et c’est ce que les électeurs voient. »

Donald Trump demeure largement en avance dans les sondages dans la course aux primaires républicaines. Et chaque nouveau déboire juridique renforce ses appuis. « On sait que chaque fois, il y a un rebond dans son soutien, tant dans les sondages que sur le plan financier », rappelle Mme Escobar.

Quel effet aura ce procès dans le cadre de l’élection présidentielle de 2024 ?

Il n’est pas certain que le procès de Donald Trump en Géorgie débutera avant la prochaine élection. Il risque même de faire tout son possible pour le retarder, affirment les chercheurs. En même temps, les procès de certains de ses coaccusés pourraient commencer dès octobre prochain.

Si un nouveau face-à-face entre Donald Trump et Joe Biden se reproduit en 2024, difficile de prédire les effets des poursuites judiciaires sur l’opinion publique.

« Il y a quand même une lassitude des électeurs par rapport à cette élection-là, parce que Joe Biden et Donald Trump sont très impopulaires au niveau national, observe Mme Escobar. Donc le plus gros danger, qui pourrait permettre à Donald Trump de se retrouver de l’avant, c’est que les gens n’aillent pas voter. C’est un risque très sérieux. »

Les électeurs américains sont déjà très divisés, rappellent les chercheurs. Ceux qui sont en faveur de Donald Trump demeurent des partisans solides. Et ceux qui le détestent voient dans les procédures judiciaires une façon de le tenir responsable de ses actes.

Restent certains électeurs plus modérés, ou indépendants, dont l’opinion pourrait être affectée par les multiples accusations qui pèsent sur l’ancien président. Parallèlement, les processus judiciaires, eux, continueront de projeter M. Trump au premier plan de l’attention médiatique, souligne M. Jacob.

Qui sont les coaccusés de Trump ?

Donald Trump est sous le coup de 13 chefs d’accusation en Géorgie, mais il n’est pas le seul. Au total, 18 autres coaccusés font aussi face à la justice. Voici les cinq principaux.

Rudy Giuliani 13 accusations

PHOTO FOURNIE PAR LE BUREAU DU SHÉRIF DU COMTÉ DE FULTON, REUTERS

Rudy Giuliani

Rudy Giuliani a notamment été procureur associé des États-Unis sous la gouvernance de Ronald Reagan et maire de New York de 1994 à 2001. Il est devenu juriste pour Donald Trump en 2018. Rudy Giuliani est accusé entre autres d’avoir produit de fausses déclarations et de harcèlement envers des employés électoraux. Il aurait aussi été impliqué dans un plan pour faire voter 16 faux électeurs. Il s’est présenté à la prison d’Atlanta mercredi et a été libéré en payant une caution de 150 000 $.

Mark Meadows – 2 accusations

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Mark Meadows

Ce secrétaire général de Donald Trump se serait rendu dans les banlieues d’Atlanta au moment où les enquêteurs de l’État faisaient des vérifications en décembre 2020. Selon l’Associated Press, il aurait aussi obtenu le numéro de téléphone de l’inspectrice en chef et l’aurait transmis à Donald Trump. Il aurait participé au fameux coup de fil entre Donald Trump et le secrétaire d’État de la Géorgie Brad Raffensperger lors duquel l’ex-président demandait qu’on lui « trouve » des votes en les recomptant. Mark Meadows s’est rendu à la prison d’Atlanta jeudi et a été libéré en payant une caution de 100 000 $.

Ray Smith III – 12 accusations

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Ray Smith

Selon sa biographie, Ray Smith III est un avocat établi à Atlanta, en Géorgie. Il a été impliqué dans plusieurs procès visant à faire invalider les résultats électoraux de 2020. Il aurait notamment envoyé une lettre au secrétaire d’État détaillant la victoire de Donald Trump à l’élection de 2020. Il aurait fait de fausses affirmations devant un comité qui étudiait les possibles fraudes électorales, selon l’Associated Press. Il s’est présenté à la prison d’Atlanta mercredi.

Cathy Latham – 11 accusations

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Cathy Latham

Elle est l’ancienne directrice du Grand Old Party (GOP) dans le comté de Coffee, dans le sud de la Géorgie. Selon l’Associated Press, elle fait partie des 16 républicains à avoir signé un certificat qui indiquait faussement que Donald Trump avait gagné l’État. Elle se serait aussi trouvée dans les bureaux électoraux le 7 janvier 2021 et aurait donné un accès non autorisé aux ordinateurs pour que leur contenu soit copié. Elle s’est présentée à la prison d’Atlanta mercredi matin.

John C. Eastman – 9 accusations

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John Eastman

Cet avocat est considéré comme l’un des architectes des efforts de Donald Trump pour rester au pouvoir après l’élection de 2020, selon l’Associated Press. Ancien doyen d’une université californienne, il aurait rédigé une note affirmant que le vice-président Mike Pence pouvait rejeter les résultats électoraux de certains États. Il aurait aussi été l’un des proches conseillers de Donald Trump lors des évènements menant à l’assaut du Capitole, le 6 janvier 2021.