(Amarillo) Un juge fédéral ultraconservateur a souligné mercredi le caractère exceptionnel d’un recours déposé par des opposants à l’avortement, qui lui demandent d’interdire la pilule abortive sur l’ensemble du territoire américain.

Lors d’une audience suivie de près jusqu’à la Maison-Blanche, le magistrat Matthew Kacsmaryk a toutefois semblé sensible à certains de leurs arguments, ont rapporté les rares journalistes autorisés dans le tribunal d’Amarillo au Texas.

À la fin des débats, le juge, qui fut juriste au sein d’une organisation chrétienne avant d’être nommé à ce poste par l’ancien président républicain Donald Trump, a promis de rendre sa décision « aussi vite que possible », d’après les reporters.  

Celle-ci est susceptible d’avoir un impact aussi retentissant que l’arrêt de la Cour suprême des États-Unis ayant dynamité, en juin dernier, le droit à l’avortement au niveau fédéral, ce qui a permis à une quinzaine d’États de bannir toutes les interruptions de grossesse sur leur sol.

Cette fois, elle pourrait concerner tout le pays, y compris les États protégeant le droit à avorter, et affecter les quelque 500 000 femmes qui ont recours à la pilule abortive chaque année.

La perspective suscite des sueurs froides chez les féministes.

Brandissant des affiches « Pas votre utérus, pas votre décision », des militantes de l’association Women’s March – dont une femme déguisée en clown, symbole du « cirque » ambiant – ont manifesté mercredi devant le tribunal.  

Parmi elles, Lindsay London, une infirmière de 41 ans, a déploré un recours juridique « 100 % idéologique, qui n’a aucun fondement scientifique ».

À quelques pas, trois femmes ont prié à genoux devant le tribunal « contre la pilule abortive ». « Il y a beaucoup d’inquiétude sur la sécurité » de ce produit, a assuré la pasteure Rita Cantu Hernandez.

« Perdre de temps »

Cet argument est au cœur de la plainte déposée en novembre par une coalition de médecins et d’organisations hostiles à l’avortement contre l’Agence américaine du médicament (FDA).

Ils lui reprochent d’avoir autorisé, en 2000, la mifépristone (RU 486), une des deux pilules utilisées aux États-Unis pour les interruptions médicamenteuses de grossesse. Pour eux, elle n’a pas respecté les procédures et a approuvé un produit chimique « dangereux ».

Sans attendre l’examen du fond du dossier, ils veulent que la justice fédérale suspende l’autorisation de la mifépristone sur l’ensemble du territoire.

Stratégiquement, ils ont déposé leur recours à Amarillo, où le juge Kacsmaryk, qui ne cache pas son opposition à l’avortement, est le seul juge fédéral.  

Mercredi, ils l’ont pressé d’agir vite. Les effets néfastes de ce produit « ne connaissent pas de limites » et « on ne peut pas perdre de temps », a plaidé l’un de leurs avocats, Me Erik Baptist, selon une journaliste de CNN.

Soulignant le caractère exceptionnel de sa requête, le juge lui a demandé s’il pouvait citer un dossier « similaire » dans lequel la justice fédérale aurait été priée de retirer l’autorisation d’un médicament approuvé par la FDA plusieurs années auparavant.  

Me Baptist a dû convenir que sa requête était inédite.

5,6 millions

Les défenseurs de la FDA ont ensuite souligné l’innocuité de la mifepristone qui, en 23 ans, a été utilisée par 5,6 millions de femmes, avec extrêmement peu de complications (moins de 1500).

Le magistrat a toutefois semblé sceptique, les pressant de questions à ce sujet, ainsi que sur leur processus d’évaluation du médicament.

Sa décision, quelle qu’elle soit, fera sans doute l’objet d’un appel, qui sera examiné par la cour d’appel fédérale de La Nouvelle-Orléans, elle aussi connue pour son conservatisme.  

Le dossier pourrait à nouveau finir devant la Cour suprême des États-Unis qui, depuis son remaniement par Donald Trump, compte six magistrats conservateurs sur neuf.

Même si la justice suspendait in fine l’autorisation de la FDA, il faudrait sans doute plusieurs mois avant que sa décision ne s’applique. Selon des experts en droit de la santé, le régulateur du médicament doit respecter une procédure stricte avant de retirer l’autorisation d’un produit.

Les femmes et les médecins pourraient aussi se rabattre sur une seconde pilule, le misoprostol, dont l’usage se combine aujourd’hui avec la mifépristone pour une plus grande efficacité et moins de douleur.

« Dans tous les cas, ce sera chaotique », a déclaré Elisa Wells, fondatrice du réseau Plan C d’information sur les pilules abortives.