Une décision imminente pourrait chambouler l’accès à une pilule abortive un peu partout aux États-Unis. La question est maintenant entre les mains d’un juge conservateur du Texas, sur lequel misent des militants antiavortements pour faire suspendre l’approbation de la mifépristone.

« Les plaignants veulent que la FDA [Food and Drug Administration] retire son approbation de la mifépristone, explique Seth Chandler, professeur de droit à l’Université de Houston, joint au téléphone par La Presse. Si elle retire son approbation, ça devient assez risqué pour les médecins de la prescrire partout aux États-Unis. C’est une des particularités du système judiciaire américain actuel – et tant les libéraux que les conservateurs ont soulevé beaucoup de questions à ce sujet récemment. En ce moment, il est possible pour un seul juge fédéral de rendre une décision qui aura essentiellement un effet à l’échelle nationale. »

Le juge Matthew Kacsmaryk doit trancher d’un jour à l’autre sur une demande d’injonction déposée en novembre dernier. Les avocats de l’Alliance Defending Freedom, représentant des associations médicales chrétiennes, demandent la suspension ou l’annulation de l’autorisation accordée par la FDA en 2000 pour la commercialisation de la mifépristone.

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La mifépristone est utilisée dans l’interruption médicamenteuse de grossesse.

Cette pilule est utilisée dans l’interruption médicamenteuse de grossesse, avec le misoprostol – qui peut également être pris seul. Ce deuxième médicament, bien que nommé dans une plainte déposée par le même groupe, ne fait pas partie de la demande d’injonction que doit trancher le juge Kacsmaryk ces jours-ci.

Les plaignants arguent notamment que l’agence fédérale américaine a « manqué à ses devoirs envers les filles et les femmes des États-Unis » en approuvant des « médicaments dangereux » et l’accusent de ne pas avoir étudié adéquatement les risques du médicament.

La mifépristone est utilisée dans plusieurs pays, dont le Canada, pour l’interruption volontaire de grossesse. Elle fait partie de la méthode recommandée par l’Organisation mondiale de la santé, avec le misoprostol, pour un avortement médicamenteux.

La cause devant la cour texane a suscité des réactions un peu partout aux États-Unis, jusqu’à la Maison-Blanche, où la porte-parole du président Joe Biden s’est inquiétée d’une potentielle décision « sans précédent et dévastatrice ». « Nous travaillons étroitement avec le département de la Justice et le département de la Santé pour être préparés », a dit Karine Jean-Pierre la semaine dernière.

Un juge connu pour son conservatisme

Le juge Kacsmaryk a grandi dans une famille chrétienne dévote. Sa sœur, enceinte à 17 ans, a choisi de poursuivre sa grossesse et de donner son nouveau-né en adoption. M. Kacsmaryk a lui-même serré le poupon dans ses bras avant son départ vers sa nouvelle famille, une expérience qui a affermi ses positions contre l’avortement, selon le témoignage livré au Washington Post par sa cadette.

Il est décrit comme un père de famille très croyant et s’est impliqué dans l’organisme qui a épaulé sa sœur pendant sa grossesse. Le quadragénaire a été nommé juge en 2019, par Donald Trump.

« Il ne fait aucun doute que les plaignants ont choisi ce district pour déposer leur requête, note M. Chandler. Il n’y a pas de relation particulière entre la loi concernant les médicaments et une région plutôt éloignée du nord du Texas. Ils ont choisi ce district parce qu’ils estimaient qu’il y avait une très bonne probabilité que la cause soit entendue par ce juge qui, avant de devenir juge, avait une carrière où il représentait des causes qui s’alignent sur celle des plaignants dans cette affaire. »

Ce qui ne veut pas dire, insiste-t-il, qu’il tranchera nécessairement en faveur des plaignants.

Le juge a prêté serment et juré d’appliquer la loi et la Constitution et j’espère certainement qu’il le fera. Mais la réalité est que les antécédents d’un juge peuvent faire la différence dans certaines causes, et j’imagine que c’est ce que les plaignants espèrent ici.

Seth Chandler, professeur de droit de l’Université de Houston

Multiplications des litiges

Peu importe la décision du juge Kacsmaryk, elle donnera vraisemblablement lieu à d’autres actions en justice, en appel ou devant d’autres instances.

Ce n’est pas non plus la seule cause en cours.

Depuis la révocation l’an dernier de l’arrêt Roe c. Wade, qui garantissait le droit à l’avortement aux États-Unis, les projets de loi et actions judiciaires se multiplient, tant pour restreindre que pour protéger l’accès à l’avortement, selon les alignements idéologiques.

Cinq femmes ont par exemple annoncé cette semaine une poursuite contre l’État du Texas pour ses restrictions visant l’interruption volontaire de grossesse, arguant que leur santé avait été mise en danger alors que leurs fœtus n’avaient aucune chance de survie.

À l’extérieur des palais de justice, le domaine médical et pharmaceutique est aussi sur le qui-vive. Les pharmacies Walgreens ont annoncé la semaine dernière qu’elles ne distribueraient plus de mifépristone dans les États où il y a des litiges sur son utilisation.

« C’est une guerre sur de multiples fronts », commente M. Chandler.

Avec le Washington Post et l’Agence France-Presse

En savoir plus
  • 36 %
    Proportion d’Américains qui pensent que l’avortement devrait être illégal dans la plupart ou la totalité des cas
    Source : Pew Research Center, Juin 2022
  • 620 327
    Nombre d’avortements pratiqués en 2020 aux États-Unis
    Source : Centers for disease control and prevention