(New York) C’est en visitant la frontière sud de son pays que le maire de New York semble avoir découvert la frontière nord, en quelque sorte.

À la mi-janvier, Eric Adams s’est rendu à El Paso, ville frontalière du Texas, pour constater de visu la crise des migrants qui se répercute jusque dans sa métropole débordée. Et bien que son bref séjour ait coïncidé avec une diminution importante de l’afflux enregistré le mois précédent au même endroit, il a vécu, selon ses propres mots, « une expérience d’apprentissage ».

« L’une des conversations les plus significatives que j’ai eues s’est déroulée avec un homme venu de Colombie, qui a voyagé pendant cinq jours jusqu’ici pour essayer d’atteindre le Canada, sans avoir de véritable direction », a raconté le maire démocrate lors d’un point de presse commun avec son homologue texan.

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Eric Adams

« Mais certains de nos partenaires, que nous voyons ici sur le terrain, ont été en mesure de lui donner une partie du soutien et des informations dont il a besoin […] pour atteindre sa destination. »

Au moment où Eric Adams a fait cette déclaration, sa ville avait déjà mis en place un programme permettant aux migrants de quitter New York vers d’autres destinations grâce à des titres de transport gratuits offerts par sa municipalité et ses partenaires.

Mais le maire de New York semblait tout étonné d’apprendre que des migrants arrivaient à la frontière sud avec l’idée de se rendre à la frontière nord.

De toute évidence, si ce rêve canadien lui était inconnu lors de son passage à El Paso, il ne l’était plus le jour où le New York Post a révélé que des migrants profitaient de ces titres de transport gratuits pour se rapprocher du chemin Roxham.

« Nous aidons à interviewer ceux qui cherchent à partir ailleurs », a expliqué Eric Adams sur FOX 5, une chaîne locale. « Certains veulent aller au Canada, d’autres dans des États plus chauds, et nous sommes là pour eux alors qu’ils poursuivent leur quête de ce rêve. »

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Arrêt d’autobus à Plattsburgh, dans l’État de New York, pour des migrants qui prennent un autre transport afin d’entrer au Canada par le chemin Roxham, à pied.

Le lendemain, après le tollé provoqué au Canada et au Québec par les révélations du tabloïd new-yorkais, il a nuancé ses propos.

« Nous ne nous coordonnons avec personne pour [envoyer des migrants] au Canada », a-t-il déclaré en conférence de presse. « La ville ne joue aucun rôle pour dire aux migrants d’aller au Canada. »

N’empêche : Eric Adams était désormais la cible des mêmes critiques qu’il formule à l’endroit des gouverneurs qui envoient des autocars remplis de migrants vers sa ville.

Des gouverneurs qui ne sont plus uniquement républicains, a-t-il appris récemment. Début janvier, le gouverneur démocrate du Colorado, Jared Polis, a en effet dirigé plusieurs autocars remplis de migrants vers New York et Chicago. Il a estimé que 70 % des migrants qui arrivent à Denver, capitale de son État, ont d’autres destinations finales en tête.

Or, quand un journaliste a demandé à Eric Adams s’il était d’accord avec son homologue de Chicago pour qualifier d’« inhumaine » l’approche du gouverneur du Colorado, il a répondu : « Bien sûr que je suis d’accord ! Le fait que le gouverneur du Colorado dise ‟Je vais rejeter le problème [ailleurs]” – et qu’il le fasse sans même nous prévenir – est tout simplement inacceptable. »

Eric Adams, cela va sans dire, se défend de traiter lui-même les migrants de façon inhumaine. Depuis le printemps dernier, sa ville en a accueilli près de 45 000, situation qui l’a forcé à déployer une panoplie de services qui grèveront son budget.

La semaine dernière, le maire a annoncé une autre décision qui fera grimper la note : il a ouvert un sixième grand centre de secours pour migrants à New York dans le plus haut Holiday Inn du monde, en faillite depuis novembre.

Situé dans le quartier financier de Manhattan, l’hôtel de 50 étages et 492 chambres accueillera des familles et des femmes seules.

Les hommes seuls sont moins choyés. Ces jours-ci, nombre d’entre eux sont dirigés vers un nouveau refuge d’urgence – le terminal de croisières de Brooklyn –, où ils dorment entassés dans une immense pièce contenant des centaines de lits de camp.

Voilà donc quelques-unes des particularités de la crise des migrants à New York. Mais, à l’image des gouverneurs américains et des élus canadiens, Eric Adams se tourne vers la même personne pour obtenir de l’aide : Joe Biden. Il réclame du président non seulement un soutien financier, mais également une réforme du système d’immigration.

Cette réforme n’est pas pour demain, compte tenu du gouffre qui sépare démocrates et républicains au Congrès sur cette question. Mais Joe Biden a déjà amorcé un virage controversé en matière d’immigration.

Début janvier, il a durci sa politique sur l’accueil des migrants en adoptant des mesures destinées à créer une « présomption contre l’admissibilité à l’asile ». Et il est en train de négocier avec son homologue mexicain une entente qui lui permettrait de procéder à des expulsions aussi expéditives que massives.

Cette entente est une priorité pour Joe Biden, dont la gestion de la frontière sud pourrait peser sur ses chances d’être réélu en 2024. En revanche, l’entente sur les tiers pays sûrs que le Canada voudrait conclure avec les États-Unis semble être beaucoup moins pressante, voire opportune, aux yeux du président américain.

Entre-temps, le maire de New York continue son apprentissage. À El Paso, il s’est également dit étonné de découvrir l’existence de sites internet annonçant « en gros que les rues de New York sont pavées d’or, qu’il y a un emploi automatique, que vous allez automatiquement vivre dans un hôtel ».

Il n’a pas précisé si des sites décrivent le même eldorado au bout du chemin Roxham.