(New York) Première femme à occuper le poste de procureur du comté de Fulton, dont le chef-lieu est Atlanta, Fani Willis a déjà établi un parallèle entre son parcours et celui de Kamala Harris. Mais cette femme de loi redoutable pourrait bientôt damer le pion à la vice-présidente des États-Unis. Comment ? En se mesurant à Donald Trump dans un combat singulier.

Aujourd’hui âgée de 51 ans, Fani Willis s’est comparée à Kamala Harris le 11 août 2020. Ce jour-là, elle célébrait sa victoire éclatante lors de la primaire démocrate pour le poste de procureur du comté le plus populeux de Géorgie. Son rival était une légende locale, Paul Howard, son patron à l’éthique douteuse, qui était en selle depuis 1997. Dix-sept ans plus tôt, a-t-elle rappelé aux membres de son équipe, la colistière de Joe Biden avait également évincé son supérieur pour devenir procureure du comté de San Francisco.

Autre parallèle soulevé par Fani Willis : comme Kamala Harris, elle a fréquenté la « Harvard noire », surnom donné à l’Université Howard, à Washington.

Mais la suite de son parcours pourrait catapulter Fani Willis là où personne n’a encore osé se rendre : devant un juge et un jury, avec Donald Trump au banc des accusés, dans une affaire pénale.

Il y aura deux ans vendredi, Fani Willis a annoncé l’ouverture d’une enquête criminelle sur une potentielle interférence dans l’élection présidentielle de 2020.

Elle s’intéressait notamment à un appel téléphonique entre Donald Trump et le secrétaire d’État de Géorgie, Brad Raffensperger, survenu le 2 janvier 2021, soit au lendemain de son entrée en fonction. L’ancien président avait alors demandé au responsable républicain de lui « trouver » assez de voix pour renverser la courte victoire de Joe Biden en Géorgie.

Selon la nouvelle procureure du comté de Fulton, cet appel téléphonique avait peut-être enfreint la loi de la Géorgie interdisant la « sollicitation criminelle pour commettre une fraude électorale ». Parmi les autres violations potentielles de la loi devant faire l’objet de l’enquête : fausses déclarations, menaces à l’encontre des administrateurs électoraux, complot et racket.

Où en est aujourd’hui cette enquête, réalisée avec l’aide d’un grand jury spécial ? Le 24 janvier dernier, Fani Willis a informé un juge que des « décisions sont imminentes » concernant des inculpations dans cette affaire impliquant non seulement Donald Trump, mais également plusieurs de ses alliés, dont son ancien avocat personnel Rudolph Giuliani et son ancien chef de cabinet Mark Meadows.

« Je pense qu’il s’agit d’une question de jours ou de quelques semaines, et non de mois », prédit Anthony Kreis, professeur de droit à l’Université d’État de Géorgie, en faisant allusion à l’annonce d’inculpations.

Chose certaine, il y aura énormément d’intérêt et de pression sur Fani Willis, tant au niveau local que national ou international, si elle porte plainte contre Donald Trump.

Anthony Kreis, professeur de droit à l’Université d’État de Géorgie

D’où la nécessité de faire plus ample connaissance avec Fani Willis, en commençant avec un autre point commun avec Kamala Harris : elle a vu le jour en Californie, et plus précisément à Inglewood, près de Los Angeles, où son père, John Floyd, a participé à la fondation du Black Panther Political Party, un regroupement moins radical que le Black Panther Party.

Père de famille monoparentale, John Floyd a élevé sa fille à Washington, où il a été avocat criminaliste. À 8 ans, Fani Willis l’aidait déjà à classer ses dossiers criminels, comme elle aime le raconter aux journalistes.

En 2001, après des études de droit à l’Université Emory d’Atlanta et une brève expérience en pratique privée, elle a commencé à faire sa marque au sein du bureau du procureur du comté de Fulton, où elle a poursuivi meurtriers, violeurs et auteurs de violence conjugale, entre autres. Son travail lui a valu d’être comparée à LeBron James, star du basketball, et à un pitbull.

PHOTO BEN GRAY, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Fani Willis s’entretient avec un membre de son équipe pendant la procédure d’installation d’un grand jury à vocation spéciale dans le comté de Fulton, en Géorgie, pour examiner les actions de l’ancien président Donald Trump concernant une possible ingérence dans l’élection présidentielle de 2020, à Atlanta, en mai 2022.

En 2014, elle a remporté sa cause la plus retentissante et controversée en obtenant 21 reconnaissances de culpabilité et 11 verdicts de culpabilité sur 12 dans une cause impliquant des éducateurs d’Atlanta, noirs pour la plupart, accusés d’avoir truqué des résultats d’examens scolaires du primaire et du secondaire pour obtenir des bonis et d’autres récompenses.

Pour gagner ce procès, elle s’est appuyée sur la loi RICO (Racketeer Influenced and Corrupt Organizations) de Géorgie, utilisée normalement pour lutter contre la mafia et d’autres organisations criminelles. Certains ont trouvé excessif le recours à cette loi assortie de lourdes peines contre des éducateurs.

Pas de regrets

Mais Fani Willis ne regrette rien. Et elle a de nouveau invoqué la loi RICO dans le procès hautement médiatisé qui s’est amorcé début janvier contre le rappeur Young Thug et 13 associés. Ces derniers sont accusés de s’être servis du label musical YSL (Young Stoner Life Records) comme façade à des activités criminelles – meurtres, trafic de drogue, vols de voitures – dignes des gangs auxquels la procureure a promis de livrer un combat sans merci.

Selon Anthony Kreis, la loi RICO devrait également faire partie de l’arsenal de Fani Willis dans un procès éventuel contre Donald Trump.

On peut voir comment elle pourrait utiliser cette loi contre l’ex-président et ses alliés. Qui plus est, la lourdeur des peines associées à la loi pourrait inciter les gens à coopérer, à devenir des témoins à charge en échange de l’immunité ou d’une réduction des accusations.

Anthony Kreis, professeur de droit à l’Université d’État de Géorgie

Donald Trump a déjà accusé Fani Willis de mener une « chasse aux sorcières » et de « tenter de poursuivre un président très populaire » plutôt que de s’attaquer à la hausse de la criminalité à Atlanta.

Anthony Kreis fait entendre un autre son de cloche.

« Le dossier le plus solide pour l’inculpation criminelle de Donald Trump se trouve en Géorgie, car il y a ici un plus grand nombre d’éléments de preuve que partout ailleurs. Il ne s’agit pas seulement d’un appel téléphonique. Quant à savoir s’il y a de bonnes chances de condamnation, je pense que nous devons attendre de voir ce que le grand jury spécial a trouvé au cours de son enquête. »

4

Nombre d’enquêtes criminelles dont fait l’objet Donald Trump. À celle de Fani Willis, il faut ajouter les deux enquêtes menées par le ministère de la Justice, l’une sur les évènements entourant l’assaut du 6 janvier 2021 contre le Capitole, l’autre sur les documents classifiés saisis à Mar-a-Lago, ainsi que celle menée par le procureur de Manhattan Alvin Bragg sur le versement de 130 000 $ à l’actrice porno Stormy Daniels pour acheter son silence avant l’élection présidentielle de 2016.