Intimidation, ou préparatifs à une invasion? Personne ne semble savoir à quel jeu joue Vladimir Poutine au moment où Kiev et Washington disent observer un afflux de troupes russes aux frontières ukrainiennes. À Kiev, pendant ce temps, on se prépare au pire en dépoussiérant les abris antibombes. Explications.

Que se passe-t-il à la frontière?

Selon diverses sources militaires américaines, de 20 000 à 40 000 soldats sont massés le long de la frontière est de l'Ukraine. Ils appartiendraient à des unités motorisées leur permettant de se déplacer rapidement et seraient munis de pièces d'artillerie. Kiev a même évoqué le chiffre de 100 000 soldats. Moscou a nié ces affirmations, affirmant que les Occidentaux étaient soit «mal informés», soit «de mauvaise foi». Le président des États-Unis, Barack Obama, a demandé vendredi à Moscou de faire reculer ses troupes.

À quoi joue Vladimir Poutine?

Personne ne s'entend sur les intentions du président russe. Selon Dominique Arel, spécialiste de l'Ukraine à l'Université d'Ottawa, Vladimir Poutine a réalisé qu'il avait pu annexer la Crimée sans trop de conséquences et songe maintenant à faire de même avec les régions orientales de l'Ukraine. «Je crois que la menace d'invasion est réelle, dit l'expert. Le précédent a été créé avec la Crimée, et le discours russe n'a pas changé. La Russie dit qu'elle se réserve le droit d'intervenir pour défendre les minorités russes.»

Le ministère russe des Affaires étrangères a justement publié vendredi un communiqué affirmant que les membres des minorités russe, mais aussi allemande, hongroise et tchèque, sont menacés en Ukraine depuis la chute du gouvernement de Viktor Ianoukovitch. Sergiy Kudelia, spécialiste de l'Ukraine à la Baylor University, au Texas, doute cependant que Moscou ait vraiment l'intention d'envahir l'Ukraine. «Je crois à des manoeuvres d'intimidation, mais pas à une invasion», dit-il.

L'expert voit comme un bon signe le fait que les dirigeants politiques prorusses de l'est de l'Ukraine ont annoncé leur intention de participer aux élections présidentielles du 25 mai prochain. «Ça veut dire qu'ils croient au processus électoral régulier. Et ça prive la Russie d'un argument », souligne-t-il.

«Mon impression, du moins pour l'instant, est que le gouvernement russe cherche davantage à influencer les régions sud et est de l'Ukraine par des moyens indirects», croit Juliet Johnson, professeure de sciences politiques à l'Université McGill. Signe qu'il est particulièrement difficile de voir clair dans le jeu de Poutine, Kyle Matthews, spécialiste des droits de l'homme à l'Université Concordia, est d'avis contraire et juge le risque d'invasion bien réel. «Ce n'est pas du bluff, dit-il. La Russie utilise la même méthode avec les régions orientales de l'Ukraine qu'avec la Crimée, en prétendant que les minorités russes sont en danger», dit-il.

Quelles sont les réactions aux mouvements de troupes russes?

Selon l'agence Reuters, les autorités ukrainiennes ont lancé une vérification de 526 abris antibombes à Kiev et travaillent à élaborer un système capable d'avertir les citoyens en cas d'attaques. Les médias ukrainiens ont aussi rapporté que Kiev refuse maintenant l'entrée dans son territoire à des centaines de Russes chaque jour.

Le gouvernement ukrainien soupçonne Moscou d'envoyer des agents en Ukraine pour fomenter des troubles et justifier une intervention. La diffusion de quatre chaînes de télévision russes en Ukraine a aussi été interrompue. Aux États-Unis, deux parlementaires américains, dont le sénateur John McCain, ont plaidé pour que Washington et l'OTAN envoient des armes à l'armée ukrainienne afin de l'aider à combattre d'éventuelles avancées russes.

À Moscou, un haut responsable du Service fédéral de sécurité a affirmé que le «désir légitime des peuples de Crimée et des régions de l'est de l'Ukraine d'être avec la Russie» suscite «l'hystérie des États-Unis et de leurs alliés».

- Avec l'Agence France-Presse, BBC, Reuters et KyivPost