Il y a un an, Patrick Sauvé et Rachelle Norbrun se sont fiancés à Cuba et faisaient des plans pour vivre ensemble. Chacun est ensuite rentré chez soi, Patrick à Montréal et Rachelle à Port-au-Prince. Soudain, le 12 janvier à 16h53, la terre a tremblé en Haïti. La Presse a raconté les circonstances rocambolesques de leur réunion au milieu des décombres. Cette semaine, au terme d'une année mouvementée, nous avons eu envie de prendre de leurs nouvelles.

Il fait bon dans cette petite maison du quartier Hochelaga-Maisonneuve. Un sapin illumine un coin du salon, l'air sent encore les rénovations que Patrick, 40 ans, a faites lui-même. Dans les bras de Rachelle, 28 ans, une minuscule demoiselle de 3 mois regarde de ses beaux yeux noirs son grand frère de 8 ans qui dispose patiemment les pièces d'un jeu de dames.

Un moment de répit au terme d'une année échevelée. Il y a un an, Patrick Sauvé, inspecteur en bâtiments, et Rachelle Norbrun, commerçante haïtienne, ont scellé par des fiançailles leur amour né à Port-au-Prince en avril 2008. L'année 2010 devait être celle où ils entreprendraient les démarches pour que Rachelle et son fils de 8 ans, Clarel, rejoignent Patrick à Montréal. D'autant plus, a découvert Rachelle début janvier, qu'un bébé s'annonçait pour le mois de septembre.

Mais le séisme du 12 janvier a précipité dramatiquement les choses. Pendant quatre jours, Patrick a attendu des nouvelles de Rachelle. Fou d'inquiétude, il a fini par sauter dans un avion pour aller lui-même la chercher.

Il les a retrouvés, elle et son fils, sains, saufs et... sans abri.

Leur histoire, racontée dans La Presse alors qu'ils campaient devant l'ambassade du Canada, a ému les lecteurs. Et le 23 janvier, ils débarquaient tous à Montréal, dans le logement de Patrick.

Froid, fringales et mariage

Un an seulement s'est écoulé depuis les fiançailles, mais aussi toute une éternité. Une fois à Montréal, Rachelle a d'abord été traumatisée par l'hiver. Frigorifiée et épuisée par sa grossesse difficile, elle a passé une bonne partie de son temps enfermée dans la maison. Quand elle sortait, elle rentrait sa tête dans les épaules et marchait vite en fixant le sol.

«Et puis, un jour, j'ai relevé la tête et regardé autour de moi. «C'est donc bien beau, ici!» que j'ai dit. On était au mois d'avril!»

Ils éclatent de rire. Racontent comment Clarel, qui n'allait pas encore à l'école, désirait tellement jouer dans cette neige qui terrorisait sa mère. Ou comment Patrick a fait le tour des épiceries haïtiennes de la ville pour satisfaire les fringales de sa blonde.

La médiatisation de leur histoire, notamment à l'émission Tout le monde en parle, a eu des effets. Des courtiers immobiliers lui ont donné des contrats d'inspection de bâtiments. Un médecin a accepté de suivre la grossesse de Rachelle. Et un célébrant leur a proposé d'officialiser leur union.

Ce qui fut fait, le 13 mai. «On aurait aimé faire une belle grande fête, mais on n'avait pas le temps», dit Patrick. Les quelques invités ont été conviés à la dernière minute. «La veille du mariage, j'ai dit: «Ce serait quand même bien si on avait de beaux vêtements»... Alors, on est allés magasiner!» s'esclaffe Rachelle. Sur la photo accrochée au mur, les mariés vêtus de blanc rient aussi.

Le sens de l'humour les a probablement aidés à supporter les moments difficiles. La grossesse pénible, les rénovations et l'emménagement dans la nouvelle maison, l'adaptation de Clarel dans sa nouvelle école, le mal du pays, les démarches complexes de l'immigration, la solitude...

Et l'inquiétude. La famille de Rachelle vit toujours dans un abri de fortune dans le quartier Delmas 95, à l'est de la capitale haïtienne. «Récemment, on a appris que trois personnes sont mortes du choléra dans leur camp», dit Rachelle. Les visages s'assombrissent.

Patrick a fait des recherches pour leur expédier des vaccins. «C'est 100$ chacun, et ils sont 10...» dit-il, dépité.

Ils s'intéressent peu aux élections, sinon pour déplorer qu'autant d'argent y soit consacré alors que le choléra sévit. «On dit en Haïti qu'ils courent tous pour «chaise bourrée» -simplement pour s'asseoir dans le fauteuil du président, dit Rachelle. Même si mon père se présentait aux élections, je ne voterais pas pour lui. On prend la meilleure personne qui existe, mais si on la met président d'Haïti, elle deviendra une crapule.»

Un prénom pour une tante

Par une journée de canicule du début septembre, une petite demoiselle fort attendue est née: Sheranne.

«Ti-Poule», comme la surnomme sa mère, regarde les visiteurs d'un air étonné avant d'esquisser un grand sourire. «Je lui ai aussi donné le prénom de Charmantine, dit Rachelle. C'était le nom d'une de mes tantes qui est morte dans le tremblement de terre.»

Rachelle rêve d'étudier pour travailler. «J'aimerais devenir infirmière, dit-elle. Parce que j'adore les vieux!» En attendant, pour aider sa famille, elle collecte des vêtements et des accessoires qu'elle expédie à sa mère, qui les revend en Haïti.

Elle sourit en regardant Patrick. «C'est un bon toutou, j'ai gagné le gros lot!» dit-elle en lui caressant la joue. «Non, mais c'est vrai. Je n'ai jamais rencontré quelqu'un comme lui, aussi gentil, aussi généreux...» Patrick est ému. «Ah, arrête...» chuchote-t-il en souriant.