Depuis six mois, le Soudan du Sud est le théâtre d'une guerre civile dévastatrice. Un million et demi de personnes ont été déplacées par les combats. Certaines vivent dans des conditions innommables. Et une catastrophe semble de plus en plus difficile à éviter, explique notre collaboratrice sur le terrain.

Accroché à ses béquilles, Peter Sabin avance péniblement dans la boue collante et profonde. Employé d'un ministère à Malakal, une ville qui représente la porte d'entrée vers les gisements pétroliers de la région, il a perdu une jambe après avoir reçu une balle dans le mollet, lorsque les forces d'opposition ont attaqué la ville, en janvier.

« Ils réclamaient argent et téléphones portables. Si vous n'aviez rien à leur donner, vous étiez mort. Quatre de mes amis ont été abattus à côté de moi, et je n'ai survécu que parce que, parmi les rebelles, quelqu'un me connaissait », raconte-t-il.

Le Soudan du Sud est, depuis six mois, le théâtre d'une guerre civile. Un million et demi de personnes ont été déplacées par les combats.

Déclenchés par une dispute politique entre le président Salva Kiir et l'actuel chef de l'opposition Riek Machar, les affrontements ont pris une tournure ethnique, opposant les deux principales communautés du pays, les Dinka (l'ethnie du président) et les Nuers (celle de Riek Machar).

«C'est inhumain»

Comme d'autres villes stratégiques, Malakal a changé plusieurs fois de mains depuis le mois de décembre. À chaque attaque, des exactions sur les civils ont été commises par les deux camps. Environ 20 000 personnes ont trouvé refuge dans le camp des Nations unies qui borde la ville, trop effrayées et traumatisées pour rentrer chez elles.

Mais avec l'arrivée des premières pluies, le camp de déplacés s'est transformé en cloaque. La plupart des abris précaires, faits de bâches en plastique, sont inondés. « C'est inhumain, dit Peter Sabin, qui vit ici avec sa femme et ses sept enfants. Même les chiens ont quitté les lieux. »

Le nombre d'enfants qui ont besoin d'un complément alimentaire, voire d'une hospitalisation, augmente. Et les organisations humanitaires craignent une dégradation rapide de la situation.

« Les enfants sous-alimentés tombent facilement malades, dit la pédiatre Belén Caminoa, qui travaille pour Médecins sans frontières. Récemment, nous soignons beaucoup d'infections respiratoires et de diarrhées, notamment à cause de l'eau stagnante. Nous voyons aussi de nombreuses blessures, car les gens marchent sans chaussures dans la boue et se coupent avec divers objets ou des fils barbelés. Et les infections sont fréquentes. »

Aucun bilan précis n'a été rendu public, mais six mois de conflit au Soudan du Sud ont laissé des dizaines de milliers de morts et chassé plus de 1,5 million de personnes de leurs foyers.

«Là-bas, il ne reste rien»

Le début de la saison humide aurait aussi dû marquer la période des semailles. Mais avec les violences, peu de champs ont été semés. « Quand nous avons fui, mon mari et mon fils aîné sont restés au village pour garder le bétail. Mon frère a trouvé leurs corps lorsqu'il est parti à leur recherche, dit Nyakim Odok, une femme d'une quarantaine d'années. Là-bas, il ne reste rien : nos maisons ont été brûlées, les vaches volées... »

Elle s'est réfugiée à Wau Shiluk, à une trentaine de minutes de Malakal en bateau à moteur, de l'autre côté du Nil. Avec ses enfants, elle s'est installée dans la salle de classe d'une école désormais fermée et envahie par les déplacés. Ce qui n'était qu'un village de pêcheurs est devenu un immense camp improvisé, où arrive un flux constant de nouvelles familles qui comptent autant sur la présence de l'armée gouvernementale et de milices pour assurer leur sécurité que sur un accès à l'aide humanitaire.

« Je coupe du bois dans la forêt pour vendre au marché, mais ce n'est pas assez pour faire vivre mes enfants », dit Nyakim Odok, qui survit grâce aux distributions d'aide alimentaire.

Selon l'ONU, plus du tiers de la population sud-soudanaise pourrait souffrir de la faim dans les prochains mois. Pendant ce temps, le gouvernement a repris les pourparlers avec l'opposition en Éthiopie. Le président Salva Kiir et le chef rebelle Riek Machar se sont engagés à former rapidement un gouvernement de transition. Mais les observateurs doutent de leur volonté de mettre fin au conflit qui déchire le plus jeune État du monde.

Deux précédents accords de cessez-le-feu n'ont pas tenu plus de quelques heures. Et la fin du cauchemar pour la population sud-soudanaise semble encore lointaine.