(Portland, Oregon) De son propre aveu, ses bottes sont « trop pointues », son chapeau est « mal ajusté » et ses mains sont « trop douces ». Qu’importe. À défaut d’avoir le titre, Ivan McClellan a décidé d’avoir l’habit.

« Dans ma tête, un cowboy était un Blanc de 6 pieds 2 pouces avec les yeux bleus », dit le photographe afro-américain de 42 ans devant une centaine de personnes venues l’entendre à la librairie Powell’s Books de Portland.

Mais quand, en 2015, il a mis les pieds au Roy Leblanc Invitional Rodeo en Oklahoma, un monde jusque-là invisible s’est ouvert à ses yeux. La culture cowboy noire.

Quand Beyonce a sorti son album country ce printemps, des gens ont dit que c’était une nouvelle tendance, le country black. C’est une très vieille tendance, elle l’a simplement élevée et rendue visible. C’est une reconnaissance, en fait.

Ivan McClellan

Le quart des cowboys de l’Ouest étaient afro-américains au XIXe siècle, et depuis longtemps il existe un circuit de rodéos noirs. Le rodéo Roy Leblanc, qui a 67 ans, est le plus ancien.

C’est à l’invitation d’un ami que McClellan s’y est retrouvé il y a neuf ans. Sa vie n’a plus jamais été la même.

PHOTO MASON TRINCA, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

Épreuve de l’Eight Seconds Juneteenth Rodeo, organisé par Ivan McClellan, le 17 juin 2023

Les athlètes, les chevaux, les taureaux, l’intensité, le danger, les costumes, la terre qui lève, toutes ces couleurs, ces mouvements…

« Mon âme a été touchée au plus profond, comme jamais rien d’autre ne l’avait touchée avant. Il fallait que j’y retourne. »

Ces années de photographie ont donné Eight Seconds : Black Rodeo Culture, qui vient de paraître, et qu’un public enthousiaste faisait signer par l’auteur ce jour-là.

PHOTO YVES BOISVERT, LA PRESSE

Ivan McClellan montrant son ouvrage Eight Seconds : Black Rodeo Culture

« Au début, je ne m’habillais pas comme ça, je me serais senti comme un imposteur. Mais les gens m’ont dit : “Hé, c’est comme ça qu’on s’habille ici.” Alors j’ai fait comme eux. Je ne suis pas un cowboy, je porte ça comme un uniforme. »

Sans être cowboy, ce résidant de Portland est maintenant promoteur d’un rodéo annuel au Veterans Memorial Coliseum. « Je préférerais que ce soit en plein air, mais avec la pluie à Portland, on ne peut pas courir le risque… »

« J’ai grandi à Kansas City. Devant chez nous, c’était la ville, il y avait des gangs et des policiers qui couraient après. Derrière, on avait cinq acres de cour. Il y avait M. Wills, qui avait cinq vaches. Un autre voisin avait des poulets. Après avoir vu les rodéos noirs, je me suis rendu compte : hé ! M. Wills était un cowboy ! J’ai réalisé, comme un cadeau, que ça faisait partie de ma culture sans le savoir. Je n’en avais aucune idée, pour moi c’était totalement extérieur. Un de mes films préférés est un western, Tombstone. Je ne sais pas combien de fois je l’ai vu. Tout le monde est blanc là-dedans, même les chevaux sont blancs, je crois ! »

PHOTO MASON TRINCA, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

Partisans lors de l’édition 2023 de l’Eight Seconds Juneteenth Rodeo

Longtemps, les Afro-Américains ont été exclus des rodéos professionnels, ce qui a donné lieu à cette scène parallèle.

Le racisme est présent, mais maintenant, le principal problème, c’est le manque de capitaux. Ça maintient les athlètes noirs à l’écart pour la plupart.

Ivan McClellan

Certains couchent dans leur voiture quand ils vont aux compétitions. Kanesha Jackson, une des meilleures au pays, vit dans une roulotte et compétitionne avec un cheval de 4000 $. Elle affronte des filles blanches qui ont grandi sur une ferme, dont la mère a déjà fait du rodéo et qui montent des chevaux valant 10 ou 20 fois ça.

PHOTO TIRÉE DU COMPTE INSTAGRAM DE THEYEEHAWAGENDA

Kanesha Jackson

Les rodéos noirs offrent entre 5000 $ et 15 000 $ de bourses. Les autres sont rarement sous les 50 000 $, et les plus gros vont jusqu’à 700 000 $.

« On a réussi à trouver des commanditaires pour Kanesha. Elle va percer. Quand tu lui demandes si elle a rencontré du racisme, elle répond non, elle ne voit rien de ça, elle est totalement investie dans son projet. Si vous avez de l’argent à parier, mettez-le sur elle ! »

Le rodéo qu’il organise s’appelle l’« Eight Seconds Juneteenth Rodeo ». Huit secondes, c’est le temps qu’un cowboy doit rester sur le dos d’un taureau. Juneteenth, c’est la commémoration annuelle de l’émancipation des Afro-Américains après la guerre de Sécession.

À la première édition, sa mère est venue servir des briskets et du mac and cheese dans le stationnement pour le tailgate. Une manière d’embrasser la culture western, mais peut-être juste d’embrasser son fils.

PHOTO MASON TRINCA, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

Le cowboy Kamal Miller se prépare à prendre part à une épreuve de l’Eight Seconds Juneteenth Rodeo 2023.

« Il y a beaucoup de cowboys blancs, ils sont les bienvenus, on ne cherche pas l’exclusion », dit Ivan McClellan.

Avec ses autres boulots de designer graphique et de photographe, organiser un rodéo n’est pas une mince tâche.

« L’an dernier, j’ai dit à ma femme : “Je suis épuisé, c’est mon dernier rodéo.” Et après j’ai pleuré toutes les larmes de mon corps. Elle m’a dit : “Continue tant que tu pourras.” Alors on recommence. Pour moi, c’est un évènement spirituel. »