Le symbole est fort. Une embarcation à quai dans le sud de l’Angleterre abritant deux prisons. Dessus, une structure grise austère avec de petites fenêtres. C’est ici, sur la barge Bibby Stockholm, que le gouvernement britannique veut héberger 500 demandeurs d’asile.

Ou plutôt les y empiler : la barge ne compte que 220 cabines.

La décision inquiète beaucoup de monde depuis son annonce au printemps. À commencer par le plus gros syndicat de pompiers du Royaume-Uni, la Fire Brigades Union, qui estime que l’établissement – avec ses corridors étroits – sera un « piège mortel » s’il y a un incendie.

Les autorités de santé publique, elles, craignent que la barge devienne vite un nid d’infections diverses à cause de la surpopulation annoncée.

Et ceux qui travaillent auprès des demandeurs d’asile ? Ils croient pour leur part qu’il serait inhumain d’héberger qui que ce soit dans cette « quasi-prison flottante » et encore plus « cruel » d’y installer des hommes qui, dans bien des cas, ont « survécu à la torture, à l’esclavage moderne et ont vécu une expérience traumatisante en mer », pour citer le porte-parole de l’organisation Care4Calais.

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Personnes montant à bord de la barge Bibby Stockholm, lundi

Et comment réagit le gouvernement conservateur britannique devant ce barrage de mises en garde ? En les rejetant d’un revers de main et en faisant monter à bord du Bibby Stockholm les premiers groupes de demandeurs d’asile depuis lundi.

Ah ! Ce n’est pas la première idée loufoque que ce gouvernement – dirigé par Rishi Sunak, un fils d’immigrants, faut-il le rappeler – met de l’avant pour gérer les questions migratoires.

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Rishi Sunak, premier ministre du Royaume-Uni

Sa principale obsession : arrêter les bateaux qui traversent la Manche. L’an dernier, 45 000 personnes sont arrivées ainsi dans le pays insulaire.

En avril 2022, les conservateurs avaient proposé de payer un billet aller simple pour le Rwanda à certains migrants arrivés par la mer, leur suggérant d’y faire une demande d’asile. Oui, oui, vous avez bien lu. Le Rwanda. Un pays considéré comme « non libre » par le Freedom House.

Le projet a vite pris l’eau. En juin 2022, alors qu’un premier avion s’apprêtait à décoller de l’aéroport militaire du Wiltshire pour Kigali, une décision de la Cour européenne des droits de l’homme, qui a mené à d’autres procédures d’urgence, a forcé l’annulation du vol. L’affaire est aujourd’hui devant la Cour suprême du Royaume-Uni.

Mais le gouvernement n’allait pas baisser les bras pour si peu, no, no. Londres songe à envoyer des demandeurs d’asile sur l’île de l’Ascension, dans l’Atlantique Sud, soit à près de 6500 km de la Grande-Bretagne.

Mais encore une fois, il y a de l’eau dans le gaz. Lundi, on apprenait dans The Telegraph que les fonctionnaires qui ont contribué à élaborer le plan pour le Rwanda auraient eux-mêmes déconseillé aux ministres d’aller de l’avant parce que ce projet outre-mer coûterait 1 million de livres (1,7 million de dollars) par migrant.

Pas exactement le genre de nouvelle qui plaît au premier ministre conservateur. Il promet depuis son arrivée de réduire les dépenses d’hébergement des demandeurs d’asile. Ces dernières étaient estimées à 1,9 milliard de livres (3,25 milliards de dollars) l’an dernier, notamment parce que 50 000 personnes se trouvent dans des chambres d’hôtel payées par l’État.

Et c’est avec ce même objectif en tête que le gouvernement britannique a choisi de réaménager la barge Bibby Stockholm ainsi que deux bases militaires abandonnées.

Économiser des livres sterling, donc, mais en s’entêtant à ne pas donner de permis de travail à ceux qui sont en attente de leur audience pour obtenir le statut de réfugié, comme le fait le Canada. Voilà une bien drôle de décision alors que le Royaume-Uni fait face à une grande pénurie de main-d’œuvre.

Pire encore, la ministre de l’Intérieur se vantait lundi de durcir le ton contre les employeurs qui embauchent les migrants arrivés de manière irrégulière. Cette mesure fait partie d’une nouvelle loi contre « l’immigration illégale » qui a été vertement critiquée par un panel d’experts des Nations unies, estimant que cette dernière contrevient aux obligations internationales du pays.

Le plus étrange dans ce branle-bas de combat, c’est que malgré la hausse des arrivées par la Manche, le Royaume-Uni ne reçoit pas une tonne de demandes d’asile. L’an dernier, le pays de 67 millions d’habitants a reçu 72 000 demandes pendant que le Canada, avec une population de 38 millions d’habitants, en recevait 90 000.

En Europe, le Royaume-Uni se classe au 18e rang en matière d’arrivées de migrants par habitant, soit loin derrière l’Allemagne, la France, l’Italie et l’Espagne. Et il n’y a pas de comparaison à faire avec les pays en voie de développement qui accueillent 80 % des réfugiés dans le monde.

La croisade du gouvernement britannique est tout simplement politique, comme l’a été celle de l’Australie, qui a maintenu en quasi-captivité des milliers de réfugiés sur des îles isolées du Pacifique pendant près d’une décennie. Même si la pratique a été jugée cruelle et a mené à une vague de suicides, l’Australie n’a subi aucune conséquence pour ses actes.

Idem pour les pays européens qui concluent des ententes avec de tiers pays en Afrique pour qu’ils freinent les réfugiés, malgré les terribles abus qui ont été rapportés. Sans aucune conséquence.

Malheureusement, la barge Bibby Stockholm du Royaume-Uni, toute symbolique qu’elle soit, n’est que le plus récent exemple de la dérive actuelle d’une grande partie de l’Occident en matière de droit des réfugiés.