Pour une rare fois, le régime iranien ne conteste pas les faits. Depuis le début de novembre, plus de 800 écolières dans au moins 58 écoles ont été empoisonnées par des gaz toxiques alors qu’elles étaient en classe. À Qom, la ville sainte, à Téhéran, la capitale, et dans huit autres provinces du pays.

Des dizaines d’entre elles ont été hospitalisées. Elles ont eu la nausée, des maux de tête, des problèmes respiratoires, des paralysies temporaires. Voilà les faits, rapportés dans les journaux de la République islamique. Terribles et sans appel.

Qui a fait ça ? On ne le sait pas et les accusations volent à droite et à gauche.

Les opposants au régime des ayatollahs accusent ce dernier de punir les fillettes parce qu’elles ont été et continuent d’être la bougie d’allumage du plus grand mouvement de protestation en Iran depuis l’établissement de la République islamique en 1979.

Le régime, lui, comme à son habitude, jette le blâme sur les « ennemis » étrangers. « C’est un projet pour semer le chaos dans le pays et par lequel nos ennemis essaient d’instaurer la peur parmi les parents et les écoliers », a dit vendredi le président iranien, Ebrahim Raïssi.

Des deux côtés, on est dans les conjectures.

Par contre, il y a un autre fait qui est facile à établir. On sait qui n’a absolument pas bougé le petit doigt pour arrêter ces empoisonnements massifs : le régime islamique.

Le même régime qui a réussi à quadriller les rues de tout le pays avec ses forces de sécurité pour réprimer les manifestations qui ont commencé en septembre dernier, le même régime qui a arrêté plus de 14 000 personnes et exécuté quatre protestataires après des procès hâtifs, eh bien, ce même régime semble soudainement à court de ressources pour protéger des petites filles à l’école.

PHOTO FOURNIE PAR REUTERS

Une jeune femme est hospitalisée après avoir été exposée à des gaz toxiques.

Sur la place publique, les ministres, les sous-ministres disent que « les autorités compétentes ont été saisies », mais après quatre mois « d’enquête », on ne voit pas de résultats. Ou du moins pas de résultats convaincants.

Cette semaine, le conducteur d’un camion-citerne qui a été vu près de deux écoles touchées par les empoisonnements a été arrêté dans la banlieue de Pardis, près de Borazjan, dans le sud-ouest du pays. On est loin d’avoir mis au jour un réseau de dangereux complotistes étrangers !

Et pendant ce temps, les attaques se multiplient. Cette semaine, trois écoles de Téhéran ont rapporté des attaques aux gaz toxiques.

Et comment les autorités iraniennes ont-elles réagi ? Pas en dépêchant les puissants Gardiens de la Révolution pour protéger les écoles. Par contre, la mère d’une écolière qui exprimait sa colère et demandait des comptes à l’État a été rabrouée de manière violente par un groupe d’hommes. L’intervention musclée a fait le tour des réseaux sociaux et soulevé l’indignation1. L’État dit rechercher ces hommes, mais tout le pays est convaincu qu’il s’agissait d’agents en civil.

Le rôle d’un État est de protéger sa population. C’est la base. C’est au nom de ce devoir que l’État se munit d’une force policière, d’une armée.

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Des passants sont rassemblés autour d’une ambulance près d’une école de Fardis, en banlieue de Téhéran, après que des cas d’empoisonnement y eurent été rapportés, mercredi.

« Quand des actions [contre la population] sont commises et qu’il n’y a rien qui se passe, c’est un manquement à la responsabilité de l’État », dit France-Isabelle Langlois, directrice générale de la section canadienne francophone d’Amnistie internationale.

Spécialiste de l’Iran affiliée à la Chaire Raoul-Dandurand de l’Université du Québec à Montréal, Hanieh Ziaei estime d’ailleurs que la déresponsabilisation du gouvernement théocratique est au cœur même du mouvement de révolte dans le pays qui, s’il est moins visible dans les rues ces jours-ci, est loin d’être éteint.

« Depuis 15 ans, les gens reprochent à l’État de ne pas prendre ses responsabilités dans plusieurs domaines. Si on regarde l’économie, il n’y a pas de gestion du chômage, de l’inflation et de la vie chère. Même chose en santé, les gens n’ont pas accès à certains médicaments, notamment pour traiter le cancer. Pendant la pandémie, l’Iran a été un des derniers pays à obtenir le vaccin », note la politologue.

Chaque fois, la faute est rejetée sur une cause extérieure, sur un ennemi extérieur. La faute aux États-Unis, le grand Satan, et à Israël, le petit Satan. « Les dirigeants rabâchent les mêmes arguments sur le même ton depuis 44 ans. La population n’y croit plus », note Mme Ziaei.

Et l’État iranien manque particulièrement d’arguments en matière de violence faite aux femmes. Quand un tueur en série semait la peur dans les rues de Masshad, assassinant des prostituées les unes après les autres, les forces de l’ordre ont mis des mois à réagir. Et à ce jour, personne n’a été puni pour une série d’attaques à l’acide perpétrées en 2014 contre des femmes qui refusaient de suivre le code vestimentaire strict imposé par l’État.

Non, pour le moment, personne ne peut affirmer avec certitude que l’État iranien commande l’empoisonnement des fillettes dans les écoles, mais personne ne peut l’absoudre non plus. Car quand on a tous les outils du pouvoir entre les mains, l’inaction au mieux est synonyme d’assentiment.

1. Visionnez la vidéo de l’altercation