C’est en grande pompe – lors d’une adresse télévisée – que le président américain Joe Biden a annoncé lundi l’assassinat d’Ayman al-Zawahiri, le successeur d’Oussama ben Laden à la tête d’Al-Qaïda. En parlant d’un moment de grande « justice ». Suis-je la seule à trouver cet enthousiasme indécent ?

Ne vous inquiétez pas, je n’ai pas d’atomes crochus avec le médecin égyptien qui a été le patron d’Al-Qaïda pendant 11 ans et qui avait précédemment été le bras droit de ben Laden, planifiant avec lui les attentats du 11 septembre 2001.

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Ayman al-Zawahiri

Non, aucune sympathie particulière pour M. Ayman al-Zawahiri qui a été tué par un missile américain à l’aube du 31 juillet alors qu’il sortait prendre l’air sur un balcon d’un quartier cossu de Kaboul. Il avait les mains couvertes de sang.

Cependant, je ne peux m’empêcher de penser à tout ce que la Maison-Blanche essaie de faire oublier – ou rendre plus acceptable – en brandissant ce beau gros trophée de chasse.

Difficile de ne pas penser d’emblée à l’anniversaire qui approche. Le premier anniversaire de la reprise de Kaboul par les talibans le 15 août.

L’an dernier, au début du mois d’août, l’armée afghane tombait comme un jeu de domino sous les yeux des derniers soldats américains et de l’OTAN qui étaient toujours déployés dans le pays d’Asie centrale. Et ce, malgré les centaines de milliards investis pour financer et entraîner cette armée nationale.

Une partie des dominos n’ont même pas eu à tomber : ils ont été vendus aux talibans à la pièce par des officiers de l’armée afghane corrompus, craintifs ou épuisés.

Leurs anciens ennemis ont ainsi pu s’équiper au rabais, mettant la main sur des armes dernier cri, des technologies de pointe et des véhicules occidentaux. Ça commençait mal, mais la Maison-Blanche n’a pas bronché et a décidé de continuer le retrait de ses troupes.

Le 15 août, donc, c’est comme un couteau dans le beurre clarifié que les talibans sont rentrés dans la capitale. Le président Ashraf Ghani venait de prendre la poudre d’escampette, laissant la porte du palais présidentiel grand ouverte au retour des islamistes rigoristes.

Peut-on oublier un an plus tard ces images d’Afghans désespérés qui s’accrochaient aux ailes des avions américains qui décollaient de Kaboul bondés ? Et que dire du désespoir des femmes politiciennes, négociatrices, journalistes, professeures, militantes, étudiantes – pour ne nommer que celles-là – qui ont commencé à manifester dans les rues, demandant que leurs droits soient respectés ?

Un an plus tard, malgré leurs tentatives de résistance et contrairement aux promesses des talibans, elles ont perdu presque tous leurs acquis. De nouveau sous une burqa ou l’équivalent, elles ont été expulsées des écoles et du marché du travail. Elles doivent se déplacer avec une escorte masculine de leur famille. Voilà 20 millions de vies humaines hypothéquées.

Et ne nous arrêtons pas là. La sécheresse et l’économie moribonde, combinées au gel des avoirs de l’Afghanistan ainsi qu’à la crise alimentaire mondiale, ont créé des conditions de famine dans le pays où une personne sur deux ne mange pas à sa faim. Voici 20 millions de vies humaines en danger.

Disons que dans ce contexte, la mort d’un djihadiste de 71 ans, chef d’une organisation terroriste sur le déclin, est un bien piètre prix de consolation.

D’autant que la nouvelle de l’assassinat d’Ayman al-Zawahiri en cache d’autres.

L’homme résidait dans une maison qui appartenait à un proche collaborateur du ministre de l’Intérieur du gouvernement taliban. Donc, même si le leadership taliban dit aujourd’hui qu’il n’était pas au courant, on en doute.

Et ce doute vaut aussi pour la promesse des nouveaux rois de Kaboul de ne pas abriter Al-Qaïda ou d’autres groupes terroristes.

D’ailleurs, c’est sur la foi de cet engagement que l’administration Trump a conclu une entente à Doha en 2020 avec les talibans, entente qui a mis la table pour le retrait des Américains du pays.

Le problème de cet accord, c’est qu’il ne prévoit aucun mécanisme pour obliger les talibans à tenir leurs promesses.

Les États-Unis se sont fiés à la bonne foi d’un groupe armé qu’ils avaient combattu pendant deux décennies. Disons que Donald Trump, qui dit maîtriser l’« art de l’entente », n’a pas dû encadrer un exemplaire de celle-ci dans son salon de Mar-a-Lago.

Quand Joe Biden est arrivé au pouvoir, il était de notoriété publique que l’accord était boiteux. Le président démocrate aurait pu tenter d’en renégocier certains termes, mais il a plutôt décidé de procéder au retrait des troupes en étirant un tantinet le calendrier. On connaît la suite.

Oui, la disparition d’Ayman al-Zawahiri est un bon coup pour les Américains et pour l’administration Biden en manque de popularité. Mais, dites-moi, où accroche-t-on un trophée de chasse quand tous les murs de la maison ont été démolis ?