Ces jours-ci, le régime de Bachar al-Assad est au banc des accusés en Allemagne.

Pas le régime en tant que tel. Ce dernier est bien au chaud à Damas malgré l’immense violence que le président et son appareil étatique ont utilisée contre la population syrienne en 11 ans de guerre. Non, en Allemagne, ce sont des rouages de cette machine à torturer et à tuer qui doivent répondre de leurs actes dans des procès historiques.

Pour en arriver là, c’est toute une armée de l’ombre qui s’est mobilisée pendant plus d’une décennie. Des policiers, des chercheurs de documents, des avocats et des réfugiés. Une escouade hétéroclite qui a dans ses rangs des Canadiens, des Syriens, des Américains, des Allemands et bien d’autres. Et qui commence à récolter les fruits de sa patience.

La semaine dernière, c’est l’ancien patron d’une prison du régime – affectueusement surnommée « l’enfer sur terre » – qui a été condamné à l’emprisonnement à vie par une cour de la ville allemande de Coblence. Anwar Raslan, 58 ans, a été accusé de la mort de dizaines de détenus et de la torture de milliers d’autres en 2011 et 2012. Il a été reconnu coupable de crimes contre l’humanité. L’an dernier, un de ses subalternes a aussi écopé de quatre ans et demi de prison pour complicité dans ces crimes.

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Anwar Raslan, le 13 janvier dernier, au dernier jour de son procès

À partir d’aujourd’hui, à Francfort, c’est un médecin du régime, Alaa Mousa, 37 ans, qui a travaillé dans deux hôpitaux militaires de Homs et de Damas, qui a son procès.

Les allégations qui pèsent sur lui lèvent le cœur. On lui reproche notamment d’avoir aspergé d’alcool les parties génitales d’un adolescent de 14 ou 15 ans et d’y avoir mis le feu. Ou encore d’avoir battu un manifestant blessé en pleine crise d’épilepsie. Ou encore d’avoir fait une injection mortelle à un autre manifestant qui tentait de lui échapper. L’envers du serment d’Hippocrate.

Jusqu’à récemment, Alaa Mousa, qui est arrivé en Allemagne en 2015 en même temps qu’une grande vague de réfugiés, vivait une vie paisible. Il a même pratiqué la médecine dans une petite ville près de Kassel.

Mais c’était sans compter que parmi les quelque 800 000 Syriens qui vivent en Allemagne aujourd’hui, il y a beaucoup d’anciennes victimes du régime. Et certains reconnaissent leurs bourreaux – ou les tortionnaires d’un proche – et les dénoncent à la police.

Les policiers allemands mènent leurs enquêtes, mais ces dernières se compliquent rapidement puisqu’une bonne partie de la preuve est en Syrie. Gardée par le régime Assad.

C’est là que le Canadien Bill Wiley et son équipe du Centre pour la justice internationale et la reddition de comptes (CIJA) rentrent en scène. L’organisation, qui a son siège social ultrasecret en Europe, amasse en Syrie depuis 2012 divers documents officiels permettant de connaître le fonctionnement et les pratiques du régime Assad, mais aussi des groupes armés qui s’y opposent, dont le groupe État islamique, aussi responsables de toutes sortes de crimes abjects.

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Bill Wiley, directeur du Centre pour la justice internationale et la reddition de comptes (CIJA)

En tout, 40 hommes et femmes syriennes mettent leur vie en danger pour dénicher ces preuves et les faire sortir du pays. « Pour le procès d’Anwar Raslan, nous avions en notre possession des documents signés par lui et d’autres documents qui donnaient le contexte », explique Bill Wiley, directeur exécutif du CIJA.

Au cours des 25 dernières années, ce titulaire d’un doctorat en droit humanitaire a travaillé pour le gouvernement canadien, puis au sein des tribunaux internationaux en ex-Yougoslavie et au Rwanda pour amener devant la justice les responsables des pires atrocités.

C’est après avoir travaillé sur le procès de Saddam Hussein en Irak qu’il a eu l’idée de fonder le CIJA en 2012. L’organisation privée, financée par plusieurs gouvernements, a pour mandat de fournir des documents qui tiennent la route devant une cour de droit.

Pendant que le CIJA contribue à étayer la preuve documentaire, d’autres organisations, dont le Centre européen pour les droits constitutionnels et humains (ECCHR), établi à Berlin, travaillent au sein de la diaspora syrienne pour trouver des victimes et des témoins.

En tout, plus de 50 personnes ont pu s’exprimer lors du procès d’Anwar Raslan. « Notre motivation, c’est de travailler avec les survivants et de nous assurer qu’ils ont le rôle qu’ils désirent dans le procès. Que c’est ce dont ils ont besoin », explique Patrick Kroker, de l’ECCHR, joint dans la capitale allemande.

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Patrick Kroker, du Centre européen pour les droits constitutionnels et humains (ECCHR)

Il affirme que le verdict de culpabilité des deux premiers accusés est un baume pour beaucoup de survivants du régime Assad. « Ils ont eu devant eux un panel de cinq juges qui ont certifié leur version des faits, qui leur ont dit qu’ils les croient », dit M. Kroker, qui s’attend à voir les procès de ce genre se multiplier en Allemagne, mais aussi dans d’autres pays comme la France, la Suède ou encore le Canada. Selon le principe de compétence universelle, ces pays peuvent juger devant leurs tribunaux les crimes les plus graves commis à l’extérieur de leur territoire.

Mais cette justice, bien qu’essentielle, n’est pas une panacée. « Le problème, c’est que nous n’avons pas accès à la grande majorité des responsables des crimes commis en Syrie, dit Patrick Kroker. Ils sont toujours dans le pays et continuent à sévir. »

Certes. Mais ces derniers savent aussi que l’étau se resserre. Un procès à la fois.