« La tyrannie est gourmande. Les lignes rouges ne vont cesser de s’épaissir. »

C’est avec quelques mots et beaucoup de larmes que l’avocate Chow Hang-tung a encaissé sa peine, mardi, à Hong Kong. Pour avoir invité ses concitoyens à allumer une chandelle le 4 juin 2021 pour commémorer les massacres de la place Tiananmen de 1989, la militante prodémocratie vient d’être condamnée à 15 mois de prison.

Cette peine vient allonger la première, de 12 mois, dont elle a écopé pour un « crime » similaire commis en 2020. En tout, elle passera 22 mois derrière les barreaux.

Et quel est ce crime ? Officiellement, les autorités ne lui reprochent pas que lesdites chandelles mettent en lumière la violence du régime communiste contre ses propres citoyens, mais plutôt d’avoir violé les mesures sanitaires liées au coronavirus en incitant des gens à se rassembler. C’est le même genre d’excuse qu’a utilisé le Kremlin pour interdire et réprimer durement les manifestations de son opposition au cours des deux dernières années.

Lorsqu’elle a pu s’exprimer devant le tribunal, Chow Hang-tung a parlé de l’espace de liberté qui rétrécit à vue d’œil dans l’ancienne colonie britannique, qui jouit d’un régime d’exception depuis son retour dans le giron de la Chine communiste en juillet 1997.

Lors de l’entente qui a mené à cette rétrocession, la Chine s’est engagée à accorder une grande autonomie politique, sociale et économique à la mégapole de 7,5 millions de personnes jusqu’en 2047.

La tenue annuelle de veillées à la mémoire des victimes de Tiananmen était l’une des manifestations les plus éclatantes de cette autonomie. La liberté de la presse en était une autre.

Oui, vous avez bien lu, nous sommes encore à 25 ans de la fin de la promesse de Pékin, mais il faut aujourd’hui parler de ces deux particularités de Hong Kong au passé.

Si la pandémie a été le prétexte pour mettre fin aux veillées, c’est la récente loi sur la sécurité nationale, adoptée en 2020 dans la foulée des manifestations prodémocratie, qui est devenue la mangeuse de médias indépendants depuis l’été dernier.

C’est d’abord à l’Apple Daily, un média qui soutenait ouvertement le mouvement prodémocratie, que les autorités ont sévi, arrêtant l’été dernier le patron, Jimmy Lai, et plusieurs artisans. Le journal s’est vu contraint de fermer ses portes.

PHOTO ANN WANG, ARCHIVES REUTERS

Des militants allumant des bougies avec lesquelles ils ont écrit Free (Libre) devant la bâtisse de l’Apple Daily, le 14 décembre dernier.

M. Lai a déjà été condamné à 20 mois de prison pour son rôle dans les manifestations de 2019, mais il vient tout juste d’être aussi accusé – avec six de ses collègues – de complot pour produire et distribuer du matériel séditieux. Pour certaines accusations auxquelles il fait face et qui relèvent de la loi sur la sécurité nationale, il est passible de prison à vie.

Entre Noël et le jour de l’An, c’est le média indépendant Stand News, connu notamment pour sa couverture des manifestations de 2019 et des répercussions juridiques, qui a reçu la visite pas très amicale de plus de 200 policiers. Six personnes ont alors été arrêtées. Le média a cessé ses activités.

Depuis, c’est l’effet domino. Mardi, c’est Citizen News qui a annoncé sa fermeture, ainsi que le Mad Dog Daily. « Citizen News, c’était le média indépendant qui était le moins politisé. Ils employaient des journalistes très professionnels, qui faisaient une couverture équilibrée », m’a dit mardi Steven Butler, coordonnateur du programme pour l’Asie au Committee to Protect Journalists (CPJ). Il a lui-même pratiqué le journalisme à Singapour et au Japon avant de se joindre à l’organisation qui se porte à la défense de la profession. « C’est tout un revirement, ce qui se passe à Hong Kong. On n’avait jamais vu de journalistes emprisonnés avant l’année dernière », note-t-il. Pékin exerce de plus en plus de contrôle sur Hong Kong et ne tolère pas la critique, ajoute l’ancien reporter économique.

Lors d’une conférence de presse mardi, la rédactrice en chef de Citizen News, Daisy Li, a elle aussi parlé de la fameuse ligne rouge qui mange tout sur son passage. « Ce n’est pas nous qui avons changé, c’est l’environnement dans lequel nous évoluons. »

« Je ne sais jamais si une histoire, une nouvelle ou une phrase va violer les nouvelles règles », a-t-elle dit, expliquant ne plus vouloir mettre ses collègues en danger.

Et qu’en dit Carrie Lam, cheffe de l’exécutif de Hong Kong ? Que la liberté de la presse se porte bien à Hong Kong, malgré la multiplication des arrestations et des fermetures. Pas très convaincant.

Et dans le reste de la Chine ? Le pays était l’an dernier la plus grande prison de journalistes. Au 1er décembre, 50 journalistes étaient derrière les barreaux, selon CPJ. La moitié sont des journalistes appartenant à la minorité ouïghoure, durement réprimée par Pékin. « L’étau s’est vraiment resserré dans toute la Chine. C’est devenu presque impossible de contourner la censure », note Steven Butler.

Tout ça est assez inquiétant à un mois des Jeux olympiques, qui attireront en Chine des milliers de journalistes étrangers. Ces derniers ne pourront faire abstraction du contexte social et politique entourant le grand évènement sportif. De ce qui se passe à l’extérieur des stades. À Taïwan. À Hong Kong.

De tout ce que la ligne rouge avale.