C’est par un pouce en l’air, Nourcia, qu’un diplomate chinois a appris au monde, samedi, qu’un accord avait été conclu à Glasgow à la conférence des Nations unies sur le climat, la COP26. Un accord à l’arraché qui, j’en ai bien peur, n’assure pas encore ton avenir ni celui de tes enfants.

Mais un accord tout de même, soutenu à l’unanimité par 200 pays. Une déclaration dans laquelle on reconnaît pour la première fois que les énergies fossiles contribuent au réchauffement de la planète.

Ça semble presque absurde. On le sait depuis des décennies, mais vois-tu, Nourcia, parmi les pays qui devaient donner le feu vert à cette entente, il y en a plusieurs qui produisent du pétrole et beaucoup d’autres qui en sont dépendants. Le mien fait partie des deux catégories.

Je ne sais pas si tu auras la nouvelle dans ton village de Kara Suu, dans tes montagnes enneigées du Kirghizistan. La dernière fois que je t’ai visitée, il y a 10 ans jour pour jour, tu n’avais pas accès à l’internet. Tu te rendais à l’école à cheval, en fière fille de nomade. Tu rêvais de devenir enseignante dans ta petite communauté.

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La famille Beguimbaev en 2011, lors de la dernière visite de notre journaliste

À ton image, depuis la chute de l’URSS, ton pays ne contribue presque pas au réchauffement climatique. Par personne, les émissions de gaz à effet de serre (GES) des Kirghizes représentent le quart de la moyenne mondiale et moins de 10 % des émissions d’un citoyen canadien moyen.

Toi et ta famille, vous viviez au grand air presque à longueur d’année. Votre empreinte écologique se résumait aux excréments d’animaux que vous brûliez pour vous réchauffer. Pour préparer vos repas.

Malgré ça, tu les connais bien, ces vilains GES, Nourcia. Ton père, Altinbek, m’a raconté que du smog – venu des usines de la Chine voisine – vous empeste parfois la vie. Mais pire encore, ton pays se réchauffe à une vitesse hallucinante. Selon les plus récentes évaluations des Nations unies, la hausse de température dans ton pays d’Asie centrale pourrait atteindre 8 °C d’ici la fin du siècle qui t’a vu naître, toi, enfant du nouveau millénaire.

Cette hausse de température te mettra directement en danger, toi, de ton vivant, ainsi que tes enfants et leurs enfants. Elle aura un impact dévastateur sur ton approvisionnement en eau, déjà compliqué. Cette hausse pourrait vous enlever tout ce que vous avez : votre minuscule cheptel dont vous vous occupez si bien.

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Nourcia en 2002

Tu n’avais que 2 ans quand je t’ai connue, Nourcia. Ta famille m’a hébergée pendant une semaine sous votre yourte. Toi et moi, nous étions inséparables. Quand je t’ai revue, tu avais 12 ans et, encore une fois, le courant est passé. Entre toi, l’enfant du bout du monde vivant de quatre fois rien, et moi, la journaliste d’un pays riche qui vit de beaucoup trop.

Aujourd’hui, Nourcia, alors que tu as 21 ans, j’aurais aimé te dire qu’une solution a été trouvée à Glasgow pour dissiper les nuages nocifs au-dessus de ta magnifique tête, que tu tiens bien haute depuis que tu es toute petite. Malheureusement, ce n’est pas le cas.

Des avancées, il y en a eu. D’abord, les pays se sont engagés à abandonner les subventions à l’industrie des énergies fossiles. Ils s’entendent aussi pour mettre un prix sur le carbone.

Jusqu’à la dernière minute, on a cru qu’on annoncerait la fin de l’utilisation du charbon dans la production d’énergie, mais voilà, l’Inde en a décidé autrement et a obtenu une concession de dernière minute. On parle maintenant d’une diminution plutôt que d’un abandon. C’est décevant.

Ces nouveaux engagements ne permettront cependant pas de limiter le réchauffement de la planète à 1,5 °C, comme les pays s’y étaient engagés au moment de l’accord de Paris, en 2015. Et ce, même si les négociateurs ont fait des heures supplémentaires. Et ce, même si nous avons toutes les données scientifiques qui nous démontrent que nous payerons cher à long terme.

Plusieurs pays comme le tien ont demandé une compensation pour l’injustice terrible que représente le réchauffement climatique pour les nations pauvres qui en subissent les conséquences sans avoir fait partie du crime originel.

Les demandes étaient légitimes ; la réponse, elle, est timorée. Les pays pollueurs se sont engagés à verser un peu plus d’argent pour vous permettre de vous adapter, mais le concept de réparation leur reste toujours en travers de la gorge.

C’est radin, Nourcia. Pourtant, ça ne prendrait qu’une fraction de ce que nous versons en subventions aux industries polluantes pour nous racheter un peu. Et pour te permettre de conserver ton mode de vie millénaire.

Malheureusement, Nourcia, nos efforts insuffisants te forceront fort probablement un jour à faire des choix déchirants. À quitter tes montagnes majestueuses et les chevaux qui y vivent en roi pour prendre le chemin d’un pays comme le mien.

Il y a de bonnes chances que tu fasses partie de ces 200 millions de réfugiés climatiques que nous prédisent les Nations unies. Beaucoup seront catastrophés de te voir arriver avec les tiens.

Rappelle-leur ce jour-là que tu aurais voulu que ça se passe autrement. Que si tu avais été à la table à Glasgow, tu aurais insisté pour qu’on arrête la machine à tuer ton monde qui est aussi le nôtre.