« Savez-vous que j’ai été accusé de meurtre aujourd’hui ? »

C’est sur le ton de la rigolade que le président du Brésil, Jair Bolsonaro, a pris connaissance mardi d’un immense rapport d’enquête traitant de la gestion brésilienne de la pandémie de COVID-19.

Pourtant, il n’y a absolument rien de bien drôle dans ce qui lui est reproché.

Dans ses conclusions préliminaires, le comité sénatorial ayant mené l’enquête affirme que le président du Brésil devrait faire face à des accusations d’« homicide de masse » pour les décisions qu’il a prises et qui ont contribué directement à la mort de centaines de milliers de Brésiliens au cours de la dernière année et demie.

La version préliminaire du rapport, envoyée à certains médias brésiliens et étrangers mardi après-midi, accuse notamment M. Bolsonaro d’avoir « consciemment et délibérément » retardé l’achat de vaccins contre la COVID-19, ce qui aurait causé des milliers de morts évitables, selon le rapport.

Dans le document de 1078 pages, il est question d’incompétence, de négligence et du déni de la science par le président et son entourage, selon les premiers rapports médiatiques.

PHOTO ADRIANA ZEHBRAUSKAS, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

Plus de 600 000 personnes ont péri au Brésil depuis le début de la pandémie.

En tout, plus de 600 000 personnes ont péri au Brésil depuis le début de la pandémie. Certaines régions ont été particulièrement décimées ; c’est notamment le cas de la région amazonienne, qui abrite une grande partie des peuples autochtones du Brésil.

Dès le début de la pandémie, Jair Bolsonaro a qualifié la COVID-19 de « petite grippe ».

Le jour où le Brésil a connu un nombre record de décès liés à la pandémie, Bolsonaro a conseillé à ses concitoyens « d’arrêter de chialer ».

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Devant l’inaction du gouvernement central, plusieurs gouvernements d’État et municipaux ont imposé leurs propres mesures sanitaires, soulevant l’ire du président.

Rapidement, la COVID-19, au lieu d’être une question de santé publique, est devenue politique dans l’immense pays d’Amérique du Sud de 212 millions de personnes.

Pour sa part, l’enquête sénatoriale lancée il y a six mois a été un immense succès télévisuel, un peu à l’image de la commission Charbonneau chez nous. Il y a été question de corruption, de désinformation et de magouilles de toutes sortes. « La commission a réussi à faire émerger beaucoup d’information, notamment sur l’achat des vaccins, le manque d’oxygène dans certaines régions. Beaucoup de familles des victimes ont témoigné aussi. C’était très poignant », explique Rafael Soares Gonçalves, professeur à l’Université pontificale catholique de Rio de Janeiro, qui a suivi de près toute l’affaire.

Le processus est éminemment politique. Des 11 sénateurs qui font partie de la commission d’enquête, sept sont ouvertement opposés à Bolsonaro. D’ailleurs, mardi, le président s’est défendu en se disant victime de ses rivaux.

Cela dit, la commission d’enquête, qui devrait présenter son rapport définitif la semaine prochaine, n’a pas le pouvoir d’inculper le président. Elle peut seulement relayer ses conclusions au procureur du pays. « On est bien loin d’un dénouement », dit Rafael Soares Gonçalves.

Mais au-delà des spécificités brésiliennes, cette démarche soulève des questions extrêmement intéressantes : est-ce qu’un chef d’État peut être tenu responsable devant le droit criminel pour la gestion bâclée d’une crise sanitaire internationale ?

Professeure de droit à l’Université Laval, Fannie Lafontaine note que le cas brésilien serait un précédent, mais qu’en règle générale, les États ne donnent pas d’immunité à leurs chefs s’ils commettent des crimes graves.

Le cas brésilien sera sans doute suivi de près aux quatre coins du monde. Jair Bolsonaro n’est pas le seul président à avoir nié l’importance de la pandémie, à avoir tardé à agir ou à avoir disséminé de la désinformation. De Minsk à Delhi, en passant par Washington, disons que plusieurs politiciens risquent de trembler un peu.

Avec le New York Times, le Guardian et le Folha de São Paulo