La première ministre thaïlandaise Yingluck Shinawatra, confrontée à des mois de manifestations, sera fixée mercredi sur son sort: sa possible destitution par la Cour constitutionnelle.

Elle a clamé son innocence mardi devant la Cour, qui l'accuse d'abus de pouvoir.

«Je nie les accusations. Je n'ai violé aucune loi», a déclaré Yingluck, accusée de s'être débarrassée d'un haut fonctionnaire de manière inappropriée.

L'affaire concerne Thawil Pliensri, transféré de son poste de patron du Conseil de sécurité nationale après l'arrivée au pouvoir de Yingluck en 2011 et qui a réintégré depuis ses fonctions sur ordre du tribunal administratif.

Se basant sur cette décision, un groupe de sénateurs, assurant que le transfert initial avait été fait au bénéfice du parti Puea Thai au pouvoir, a déposé un recours devant la Cour constitutionnelle.

Et celle-ci a annoncé mardi qu'elle prendrait une décision éclair, dans les 24 heures.

«La cour a reçu assez de preuves pour pouvoir se prononcer», a annoncé son président, Charoon Intachan, après avoir rejeté une demande de la défense de la première ministre de présenter cinq témoins supplémentaires.

Les partisans du pouvoir accusent la justice d'être en faveur des détracteurs de Yingluck, qui se préparent selon eux à la faire tomber via un «coup d'État judiciaire».

Une destitution de la première ministre risque de faire descendre dans la rue les Chemises rouges, partisans de Yingluck et de son frère Thaksin Shinawatra, ancien Premier ministre en exil, renversé par un coup d'État en 2006.

Une telle décision judiciaire n'aurait rien d'étonnant dans un pays où la justice a déjà chassé du pouvoir deux premiers ministres pro-Thaksin en 2008.

Sentant les choses s'accélérer, les partisans des deux camps ont d'ores et déjà programmé de nouvelles manifestations.

Une destitution raviverait, après plusieurs semaines d'accalmie dans la rue, une crise qui a déjà fait au moins 25 morts et des centaines de blessés dans des fusillades ou des attaques à la grenade.

La Thaïlande est en effet secouée depuis six mois par une crise politique marquée par des manifestations qui ont rassemblé des dizaines voire des centaines de milliers de personnes.

Risque de nouvelles violences

«Si la Cour condamne la première ministre et tout son gouvernement, il y aura des troubles», a mis en garde mardi le chef du Puea Thai, Jarupong Ruangsuwan.

La destitution de Yingluck et du gouvernement risquerait d'ouvrir une nouvelle page d'incertitude, en l'absence de Parlement (dissous en décembre 2013) pour nommer un nouveau premier ministre.

Si Yingluck est la seule à être destituée, un membre de son gouvernement intérimaire pourrait prendre sa place, jusqu'aux prochaines élections.

Mais la Cour pourrait aussi destituer l'ensemble du gouvernement, faisant entrer la Thaïlande «dans les limbes, d'un point de vue légal», selon l'expression de Paul Chambers, professeur à l'Université de Chiang Mai, dans le nord de la Thaïlande.

«Il n'y aura pas de gouvernement, pas de premier ministre et pas de chambre basse du Parlement. Juste le Sénat», résume-t-il.

Des législatives pour sortir de l'impasse, sont elles bien prévues pour le 20 juillet, mais les manifestants promettent de les perturber comme en février.

Les protestataires qui veulent remplacer le gouvernement par un «conseil du peuple» non élu qui superviserait des réformes, préalables à toutes nouvelles élections.

Les manifestants et l'opposition accusent Yingluck d'être une marionnette de son frère et le clan Shinawatra d'avoir installé un système de corruption généralisée.

Même si elle était épargnée par la Cour constitutionnelle, Yingluck fait face à une autre procédure pouvant mener à sa destitution devant la commission anti-corruption, qui l'accuse de négligence dans le cadre d'un programme controversé d'aide aux riziculteurs.

Depuis le putsch de 2006, la société est profondément divisée entre les masses rurales et urbaines défavorisées du nord et du nord-est, fidèles à Thaksin, et les élites de Bangkok gravitant autour du palais royal, qui le haïssent.

Et le pays est englué dans une série de crises à répétition faisant descendre tour à tour dans la rue ennemis et partisans du milliardaire.

«Mais à ce stade, il est impossible de savoir si les Chemises rouges vont offrir beaucoup de résistance, comme certains de leurs leaders le disent», a noté Michael Montesano, de l'Institut d'Études sur l'Asie du Sud-est à Singapour.

En 2010, les Rouges avaient occupé le centre de Bangkok pendant deux mois pour déclamer la démission d'Abhisit, alors premier ministre, avant un assaut de l'armée. La crise avait fait plus de 90 morts et 1900 blessés.