Exercices militaires, provocations et menaces s'accumulent, exacerbant les tensions politiques sur la péninsule coréenne. Paradoxalement, alors que les semelles de milliers de soldats battent le pavé de Pyongyang, à Séoul, la jeunesse sud-coréenne reste indifférente, expliquent nos collaborateurs.

Entre un travail à temps partiel et des études universitaires exigeantes, Jeong Ho Jae, 22 ans, n'a guère de temps à accorder à la récente escalade de tensions entre son pays et le régime communiste du Nord. Pour la plupart des Sud-Coréens de son âge, le spectre d'un conflit armé est une banalité de tous les jours. «Il y a toujours eu un ennemi au-dessus de nos têtes. [...] Qu'est-ce que vous voulez qu'on y fasse?»

Séoul a récemment durci le ton face à la Corée du Nord, envisageant même des frappes préventives dans le but de détruire certains sites nucléaires et militaires ennemis. Le calme des rues de la capitale contraste toutefois avec l'escalade entre les deux pays.

Ici, l'état de guerre est devenu business as usual, selon Barthélémy Courmont, professeur au département de science politique de l'Université de Hallym en Corée du Sud. La rhétorique guerrière de Kim Jong-un ne fait même pas systématiquement la manchette des journaux locaux. «C'est la réalité du quotidien ici. Il n'y a absolument rien qui montre une nouvelle forme de tension ou une évolution particulière de la situation.»

Le chômage plus inquiétant

L'imminence d'une guerre n'est en effet pas en tête des préoccupations des Sud-Coréens. Avant elle, on retrouve la croissance économique et le chômage chez les jeunes, selon la plus récente étude d'opinion publique menée par la Asan Institute for Policy Studies parue le 25 février dernier, peu de temps après le troisième essai nucléaire de la Corée du Nord.

«Même mes étudiants en science politique ne sont pas passionnés par la question, déplore le professeur. Il y a beaucoup de passivité chez les jeunes à ce sujet.» Ce désintérêt est engendré en partie par un sentiment de sécurité bien ancré.

De retour de son service militaire, Heo Jin Woo, 24 ans, a été entraîné pendant deux ans à répondre efficacement à tous les types d'invasion nord-coréenne. Il quitte l'armée confiant de la supériorité militaire de son pays. «Ceux qui ont été dans l'armée ne se sentent pas effrayés par la puissance de la Corée du Nord.» Une perception renforcée par la présence de près de 28 000 militaires américains en sol sud-coréen.

Souvenirs douloureux

Il reste que pour la génération plus âgée, l'éventualité d'une guerre est une réalité inquiétante ramenant à la surface des souvenirs douloureux. Derrière le comptoir de son commerce de produits de beauté, Lee Sung-jin s'anime à la seule mention du nom du leader nord-coréen Kim Jong-un. À 58 ans, elle avoue se sentir menacée par le caractère imprévisible du dictateur. «Il est encore jeune, il n'a pas vécu la guerre comme son père Kim Jong-il, il n'en connaît pas les horreurs, s'exclame-t-elle. Il est capable de tout.»

Ayant grandi au sein d'une famille d'origine nord-coréenne touchée par le conflit de 1950-1953, Mme Lee affirme être plus sensible au conflit intercoréen que la jeune génération. «Je me demande parfois pourquoi je suis née dans un pays divisé», soupire-t-elle.

Après 60 ans d'un armistice troublé par quelques échauffourées entre les deux Corées, la population du Sud reste persuadée qu'une guerre reste inévitable, mais pas imminente. Les menaces d'attaque de Pyongyang et la réplique sévère du Sud font partie d'un jeu cyclique du chat et de la souris, estime Ingyu Oh, professeur à la Korea University. «Les gens sont habitués à ce spectacle. C'est un manège politique qui a lieu à chaque élection présidentielle en Corée du Sud.»