Ereinté par les critiques depuis son premier jour, le tribunal de Phnom Penh pour les Khmers rouges a surmonté toutes les épreuves, mais celle qu'il affronte actuellement menace en théorie jusqu'à son existence: il n'a plus d'argent.

Le budget 2013 n'a toujours pas été voté par les bailleurs de fonds, qui demandent au Cambodge un effort supplémentaire avant d'eux-mêmes augmenter leur participation.

Les employés étrangers ont été officiellement reconduits jusqu'à l'été. Mais depuis le 1er janvier, quelque 270 employés cambodgiens travaillent sans contrat. Ils n'ont pas été payés depuis novembre.

La cour doit trouver environ 9,5 millions de dollars. Une somme modeste sur le papier, mais une fortune compte tenu des relations tourmentées entre les donateurs et le gouvernement de Phnom Penh, accusé de ne rien faire pour sauver une juridiction qui juge les plus hauts responsables du régime de Pol Pot (deux millions de morts entre 1975 et 1979).

«Il y a une certaine lassitude des bailleurs qui se battent pour financer le tribunal et ont parfois l'impression que le gouvernement n'est pas pleinement mobilisé sur le sujet», constate un diplomate étranger. «Personne ne semble avoir d'argent pour payer».

D'autres sources évoquent un bras de fer malsain entre les bailleurs et le gouvernement de Hun Sen, un ex-Khmer rouge devenu premier ministre en 1985. «Il y a deux voitures lancées l'une contre l'autre à pleine vitesse pour voir qui tournera et évitera l'accident», ironise un cadre étranger du tribunal.

Entré en fonction en 2006 après des années de négociations, le tribunal a essuyé toutes les critiques. Corruption, pression politique sur les dossiers, lenteur des procédures au risque de voir mourir les trois derniers accusés, tous octogénaires, avant que justice soit rendue.

La cour a déjà dépensé 179 millions de dollars et n'a jugé qu'un accusé. Un chiffre qui pose question dans un des pays les plus pauvres du monde. Mais le budget du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) était de 172 millions pour le seul exercice budgétaire 2012-13. Depuis sa création fin 1994, il a rendu 55 décisions.

Juger des crimes de masse est par nature onéreux. Mais la tâche est indispensable pour reconstruire la société, estime Heather Ryan, observatrice du tribunal pour l'Open Society Justice initiative (OSJI).

Entre bailleurs et gouvernement, «c'est à celui qui cédera le dernier», regrette-t-elle. «Cela ferait vraiment tache après tant d'années que le tribunal s'écroule».

Les voisins asiatiques du Cambodge ne montrent aucun empressement à mettre la main au portefeuille. Quant au gouvernement lui-même, il dit avoir déjà fait son devoir. Ek Tha, son porte-parole, constate qu'il n'y a «pas de budget disponible» pour payer le personnel et que 1,8 million de dollars a déjà été affecté pour 2013.

Depuis 2006, 16,9 millions de dollars ont été dépensés, a-t-il affirmé à l'AFP. «Nous ne pouvons laisser cette crise perdurer et c'est pourquoi nous demandons un soutien financier auprès de nouveaux donateurs et amis du tribunal».

Ces dernières années, les employés cambodgiens avaient déjà connu des problèmes semblables. Mais certains menacent cette fois de faire grève. Une hypothèse exclue par les observateurs, sauf à être approuvée implicitement par le pouvoir.

La cour juge actuellement les trois plus hauts dirigeants du régime de Pol Pot encore vivants pour génocide, crimes de guerre et crimes contre l'humanité. Et deux nouvelles enquêtes sont en suspens. Reste donc la seule perpétuité prononcée contre «Douch», chef de la prison de Phnom Penh.

Pour éviter le fiasco, le financier ne doit pas l'emporter sur le judiciaire, relèvent les analystes. «Il me semble que la communauté internationale ne laissera pas ce tribunal s'effondrer», pronostique le cadre de la cour. «S'il commence à annuler des audiences, l'argent finira par arriver».