Écrasée successivement par deux véhicules puis abandonnée sur la chaussée dans l'indifférence des passants, la petite Yue Yue, deux ans, est morte vendredi, son sort tragique révulsant des Chinois de plus en plus convaincus que leur société dérive vers l'égoïsme.

Le 13 octobre, la fillette avait été d'abord percutée par une fourgonnette puis écrasée par un camion, devant le magasin de sa famille dans la ville de Foshan (sud du pays).

La scène a été enregistrée par des caméras de surveillance et la vidéo -difficilement soutenable- a été diffusée par une télévision locale ainsi que sur l'internet.

Sur les images on voit une quinzaine d'habitants et de véhicules qui passent à côté de l'enfant, baignant dans son sang. Certains regardent le petit corps disloqué, mais aucun ne daigne s'arrêter.

Une chiffonnière tire finalement la fillette sur le bord de la chaussée, mais ses appels au secours sont ignorés par divers commerçants riverains. Elle parvient ensuite, seule, à prévenir la mère de la petite fille.

«Petite Yue Yue est morte à 0h32», a annoncé vendredi à l'AFP un porte-parole de l'hôpital général militaire de Canton (sud) où elle avait été admise, sans grand espoir vu son état désespéré.

Toute la semaine, le sort de Wang Yue (sa vraie identité, Yue Yue étant son surnom) a suscité des réactions indignées, qui ont redoublé avec son décès.

Les puissants réseaux sociaux chinois, caisse de résonance de l'opinion publique, se sont emparés de cette tragique histoire, mais aussi la presse d'État.

«Cette société est gravement malade. Même les chiens et les chats ne devraient pas être traités de façon aussi inhumaine», a ainsi estimé un internaute sur Sina Weibo, l'équivalent chinois de Twitter.

Le drame a été vu comme l'illustration d'une dérive de la société chinoise: beaucoup sont convaincus que le rapide développement économique du pays et l'enrichissement général de la population s'accompagnent d'une montée de l'égoïsme et d'une perte des valeurs collectives de solidarité mises en avant dans la Chine communiste de Mao Zedong.

«Il y a cette idée qui se développe en Chine qu'il y avait auparavant un âge d'or» de l'entraide, a confirmé à l'AFP Jean-Louis Rocca, sociologue spécialiste de la Chine.

Mais «c'est difficile de dire si c'est pire qu'ailleurs», a-t-il relevé, en insistant sur les solidarités «qui existent toujours, par exemple dans la famille ou entre collègues de travail».

Ce fait divers vient s'ajouter à d'autres récents, mêlant violences gratuites et sentiments d'impunité.

Il y a eu ce fils de général, conduisant un luxueux coupé, qui a tabassé un couple pour une broutille ou cet étudiant qui a renversé une paysanne, qu'il a achevée à coups de couteau plutôt que d'avoir à lui verser des dommages et intérêts.

La mort de Yue Yue restait vendredi l'un des principaux sujets de débats sur les sites de microblogues chinois.

«Adieu petite Yue Yue. Il n'y a pas de voitures au paradis», a écrit un internaute.

«Adieu, je te souhaite de ne pas renaître en Chine dans une autre vie», a écrit un autre.

L'affaire Yue Yue «a sans aucun doute exposé un côté sombre de notre société, a estimé de son côté vendredi le journal Global Times.

Aujourd'hui la Chine ne dispose pas de loi pénalisant la non-assistance à personne en danger, a souligné le quotidien, et le pays est loin d'un consensus sur les bienfaits d'une telle loi.

«Il serait plus approprié d'établir un système récompensant ceux qui aident plutôt que de punir ceux qui ne le font pas», a-t-il jugé dans un éditorial.