Li Fu roule en Ferrari, Wang Qingzhan vit dans un taudis. Ces deux habitants de Pékin illustrent le fossé entre riches et pauvres en Chine, une bombe à explosion sociale que le régime communiste veut désamorcer dans son plan quinquennal 2011-2015.

Richesse expresse

M. Li, 29 ans, a connu une progression de carrière fulgurante dans la production audiovisuelle. Millionnaire, il possède trois appartements dans le centre de la capitale.

Avec sa coiffure aux mèches savamment brossées vers le visage, ses lunettes de soleil en plein hiver et son téléphone cellulaire serti de diamants, il adopte un style ostentatoire. Ses amis aussi, qui s'habillent chez Christian Audigier, le styliste des célébrités d'Hollywood.

Le jeune homme affirme être représentatif de ces nouveaux riches qui ont su profiter de l'insolente croissance de la Chine des années 2000.

Il relate avoir débuté avec un salaire mensuel de 600 yuans (environ 100$ CAN). «J'ai travaillé comme cela pendant quatre-cinq ans, c'était très dur. C'est en montant ma société que j'ai gagné de plus en plus d'argent».

Aujourd'hui il passe ses vacances à Cannes, Milan ou Monaco. Le week-end, il pilote des bolides de course sur un circuit près de Pékin. En plus de sa Ferrari, il s'est offert une Porsche et trois autres voitures.

«L'écart entre riches et pauvres est normal dans la phase de développement économique de la Chine, qui s'est ouverte il y a seulement trente ans», assure Li Fu. «Ce n'est pas comme en Occident, où 200 ans de développement ont permis d'accumuler beaucoup de richesses».

Son ami Benjamin Fu gère une concession de «supercars» avenue Jinbao, l'artère la plus fastueuse de Pékin. On y trouve des modèles rares et chers: Jaguar XJL, Pagani Zonda R, Gumpert Apollo, Koenigsegg CCR... Certains coûtent plusieurs millions d'euros.

«Mes clients sont principalement des artistes, des entrepreneurs, des vedettes», raconte-t-il en tirant sur sa cigarette.

En face des bureaux de M. Fu a ouvert un grand magasin Gucci. À quelques numéros se dresse le très select Jockey Club. Entre les deux, de vieux immeubles de briques sont détruits pour laisser place à un grand hôtel. Le luxe gagne du terrain.

Pauvreté extrême

La pauvreté, elle, se déplace. Wang Qingzhan témoigne de l'envers du décor d'une Chine deuxième puissance économique mondiale.

Ce travailleur migrant né dans la province du Henan fait partie de ces millions de ruraux chinois qui affluent vers les mégalopoles, où ils deviennent des citoyens de seconde zone.

«Je gagne peu d'argent, environ 1 500 yuans (environ 225$ CAN), sans être nourri ni logé», explique M. Wang, employé dans le nettoyage. «Si je ne faisais pas des petits travaux en plus, je ne pourrais pas faire face».

Vêtu d'une veste de toile aux manches élimées, les cheveux en bataille, il montre la maison grise où il habite avec son épouse. Pour tout espace, ils disposent d'une pièce d'une dizaine de mètres carrés, aux murs décrépits. Leur loyer mensuel est de 350 yuans .

Le couple a deux garçons. Mais, faute de permis de résidence, les deux adolescents n'ont pu être scolarisés à Pékin. Ils sont restés loin de leurs parents, dans le Henan.

La nuit, Wang Qingzhan s'endort collé contre sa femme sur un étroit lit en fer, près d'un radiateur électrique. L'enduit du plafond est crevé, l'étanchéité paraissant mal assurée. La famille possède une petite commode, un réchaud pour cuisiner. La pièce n'a ni douche ni toilettes.

Leur quartier aux rues non asphaltées, en contrebas du deuxième périphérique, sera prochainement rasé. Le site est entouré d'une palissade. «La vie est difficile», soupire M. Wang.

En ouvrant samedi la session annuelle du Parlement chinois, le Premier ministre Wen Jiabao devrait promettre un partage plus équitable des richesses. Un engagement maintes fois répété ces dernières années.