(Taipei) À partir de 2024, le service militaire obligatoire passera de quatre mois à un an pour les garçons nés après 2005 à Taiwan. Entre désir de liberté et sentiment de devoir envers leur pays, les jeunes Taiwanais sont tiraillés par la nouvelle. La Presse est allée à leur rencontre.

Ils ont appris la nouvelle sur Instagram. « Irrités », « énervés », « frustrés », c’est même avec un soupir d’exaspération que Chen Ren-Yu et Ceng Zhi-Hong, 16 ans, répondent à nos questions. Car pour eux, le service militaire signifie « suivre les ordres, se faire engueuler par les supérieurs et devoir demeurer à un endroit bizarre pendant un an », énumère le duo croisé à la sortie de son école secondaire du centre-ville de Taipei, la capitale. « J’espère juste en sortir vivant, autant physiquement que mentalement », plaisante le premier. Mais les deux grands gaillards finissent par se résigner : « On finit par l’accepter, car cela demeure un choix rationnel pour défendre Taiwan. »

PHOTO MYRIAM BOULIANNE, COLLABORATION SPÉCIALE

Chen Ren-Yu et Ceng Zhi-Hong

La présidente de Taiwan, Tsai Ing-Wen, en a fait l’annonce lors d’une conférence de presse le 27 décembre. La dirigeante de 66 ans a qualifié la décision « d’extrêmement difficile », mais a admis que la durée actuelle n’était « pas suffisante » pour faire face à la Chine.

Le service militaire a été instauré à Taiwan en 1951, deux ans après que le gouvernement nationaliste de Chiang Kai-shek s’est relocalisé dans l’île à la suite de sa défaite face aux forces communistes de Mao Zedong. Alors d’une durée de deux ans, la conscription a depuis été raccourcie à un an en 2008, puis à quatre mois en 2018, le gouvernement préférant développer une armée d’engagés.

« Fier de protéger mon pays »

D’autres élèves du secondaire sont plutôt optimistes. « Quatre mois, ce n’était pas suffisant pour nous entraîner à devenir des soldats. Une année va nous permettre de mieux nous adapter à ce style de vie », croit Zhang Ting-Kai, 16 ans, rencontré avec deux camarades dans une petite cantine proche de leur école.

À ses côtés, Li Jian-Yi se dit « fier de pouvoir protéger [son] pays », mais l’adolescent ajoute : « Si notre gouvernement veut vraiment améliorer l’armée, il devra nous donner des tâches plus utiles que seulement faire le ménage de nos dortoirs. »

PHOTO MYRIAM BOULIANNE, COLLABORATION SPÉCIALE

 Li Jian-Yi, Zhang Ting-Kai et leur ami Chen Po-An

Car le service militaire à Taiwan, souvent qualifié de « camp d’été » par nos interlocuteurs, a mauvaise réputation : tâches peu utiles, vieux équipements, peu de pratique avec de vrais fusils et des officiers peu motivés.

« Plusieurs jeunes hommes qui venaient de terminer leur service militaire m’ont confié qu’ils se sentaient encore moins en sécurité dans leur pays, parce que l’entraînement ne correspondait pas à leurs attentes. L’armée doit prendre conscience de ces problèmes », relate la chercheuse Claire Tiunn, qui étudie la question pour l’institut de recherche Pacific Forum.

L’armée taiwanaise a également de la difficulté à recruter en raison du manque d’incitations financières, du faible taux de natalité dans l’île, mais aussi de son statut peu reluisant au sein de la société, croit Zhang Ting-Kai.

« À Taiwan, les gens ne considèrent pas l’armée comme un métier honorable. On priorise davantage les études universitaires », explique l’élève du secondaire qui souhaite se diriger en médecine à l’université, poussé par ses parents, admet-il.

Avec l’extension du service militaire, le gouvernement a aussi promis une réforme du programme qui inclura davantage d’entraînement avec de nouvelles armes et des balles réelles, mais aussi un salaire mensuel qui sera triplé (passant de 285 $ CAN à 880 $ CAN).

Soulagés

Pour certains jeunes nés avant 2005, c’est plutôt un soupir de soulagement qui les habite, puisqu’ils seront encore admissibles aux quatre mois de conscription. C’est d’ailleurs le cas de Wu Jia-Lin et Liu Chung-Chun, deux étudiants en géographie de 19 ans rencontrés sur le campus de l’Université normale nationale de Taiwan. « Je suis très content ! », nous répond d’emblée le premier, les pouces levés, arborant un grand sourire.

Son camarade aussi. « Nous n’aurons pas à perdre une année d’études, voire à compromettre nos plans à long terme », élabore-t-il. Même leur amie, Chang Wei-Chin, se réjouit que les filles demeurent exemptées : « Je n’aurai pas à être séparée de mes amis. »

PHOTO MYRIAM BOULIANNE, COLLABORATION SPÉCIALE

Chang Wei-Chin, Liu Chung-Chun et Wu Jia-Lin

L’extension du service militaire à un an demeure toutefois largement appuyée par les Taiwanais. Selon un sondage de la Taiwan Public Opinion Foundation réalisé en décembre 2022, plus de 73 % des répondants ont répondu favorablement.

L’annonce ne devrait pas non plus affecter le parti au pouvoir (Parti démocrate-progressiste, pro-indépendance) à la prochaine élection présidentielle de 2024. « Comme l’annonce concerne les garçons nés à partir de 2005, cela signifie qu’ils n’auront pas l’âge légal pour voter (20 ans) », explique Paul Huang, chercheur à la fondation.

En ce qui concerne Wu Jia-Lin et Liu Chung-Chun, ils planifient effectuer leur conscription après leur baccalauréat, peu enthousiastes. Mais le deuxième semble davantage nerveux en raison du « climat tendu » avec la Chine. « Et si [l’invasion] arrivait pendant mon service militaire ? Devrai-je m’enfuir ou rester ? », se questionne-t-il. Car même s’il se considère pro-Taiwan, l’étudiant sait que si le pire devait arriver, il devra choisir entre conserver sa liberté… ou la sacrifier.