Lors de son passage à l’émission de l’humoriste américain Stephen Colbert en mai, Jacinda Ardern a esquivé avec élégance une question portant sur son appréciation de la vie politique aux États-Unis.

« Des pays comme le mien tendent à avoir pour principe de ne pas commenter la politique d’autres pays », a souligné la première ministre de la Nouvelle-Zélande, qui ne rechignerait sans doute pas aujourd’hui à profiter localement de l’enthousiasme qu’elle suscite à l’étranger.

La politicienne de 42 ans, qui avait atteint un temps un statut presque « olympien » au dire d’un chroniqueur néo-zélandais, fait face à une fronde susceptible de compromettre les chances de réélection du Parti travailliste lors du scrutin prévu en 2023.

Dans un sondage paru peu avant Noël, la formation de centre gauche qu’elle chapeaute recevait 33 % des intentions de vote, alors que le Parti national, à 38 %, et l’ACT, un autre parti de l’opposition à 11 %, se retrouvaient en position théorique de former un bloc victorieux de centre droit.

De manière plus préoccupante pour ses partisans, la popularité de Mme Ardern a chuté à 29 %, le plus mauvais résultat enregistré depuis son arrivée au pouvoir, en 2017, dans le petit pays de 5 millions d’habitants.

Les résultats sont si préoccupants qu’elle a dû répondre à des questions des médias sur sa possible démission à titre de dirigeante du camp travailliste avant les prochaines élections.

Cette rumeur a circulé tout au long de mes cinq ans à la tête du gouvernement. Je n’ai aucune intention de revoir mon rôle de cheffe du parti, je ne m’en vais nulle part.

Jacinda Ardern, première ministre de la Nouvelle-Zélande, à propos de sa démission

Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts depuis que cette diplômée en communications, qui avait été propulsée à la tête de son parti peu de temps avant les élections de 2017, est apparue sur les écrans de la planète à la suite d’une sanglante fusillade survenue en 2019 dans des mosquées de Christchurch.

« Les victimes sont les nôtres, or la personne qui a commis ce crime violent à notre encontre ne l’est pas. Elle n’a pas sa place en Nouvelle-Zélande », avait déclaré la politicienne, manifestant à la fois sa compassion et sa solidarité avec les victimes ainsi que sa fermeté envers l’idéologie d’extrême droite à l’origine de l’assaut et les personnes qui s’en réclament.

Image de « confusion »

Mais c’est véritablement avec sa gestion de la pandémie de COVID-19 que l’ex-dirigeante de l’Union internationale de la jeunesse socialiste a atteint une renommée excédant largement celle normalement conférée à des dirigeants de pays de cette taille.

La fermeture des frontières et l’imposition de restrictions sévères, combinées à l’isolement géographique du pays insulaire, ont permis de protéger longtemps la population. Mais l’arrivée de variants ultracontagieux comme Omicron et ses dérivés ont fini par éroder le consensus national sur l’approche à suivre.

Au printemps, des centaines d’opposants furieux ont occupé les abords du parlement pendant plusieurs semaines jusqu’à ce que les forces de l’ordre interviennent avec l’appui de la première ministre, qui s’est résignée ultimement à lever les restrictions, comme la plupart des pays occidentaux.

« Le gouvernement n’est plus vu comme étant en contrôle de la situation » sanitaire, relève Gary Hawke, professeur émérite de gouvernance lié à l’Université de Victoria à Wellington.

Les problèmes de mise en œuvre rencontrés pour des initiatives importantes portant sur le système de santé, la gestion de l’eau ou les rapports avec les communautés aborigènes ont aussi alimenté une image de « confusion » qui déteint, dit-il, sur la popularité de la première ministre, mais sans influer sur son image hors des frontières.

« Le monde ne s’intéresse pas aux développements internes en Nouvelle-Zélande », relève M. Hawke pour expliquer l’apparente dichotomie.

Ardern et l’opposition

L’inflation et la hausse des taux d’intérêt mise en œuvre pour la juguler ajoutent aux difficultés de Jacinda Ardern, qui a aussi dû composer avec une flambée de violence découlant d’un conflit entre gangs armés.

L’opposition fait ses choux gras de la situation, non sans exaspérer la politicienne progressiste, qui continue de se dire « optimiste » pour l’avenir, tout en reconnaissant la difficulté de sa tâche.

Elle s’est échappée au Parlement à la mi-décembre face aux attaques du chef de l’ACT, David Seymour, qui lui demandait si son gouvernement était capable de reconnaître ses erreurs, le qualifiant de « connard arrogant » alors qu’elle croyait son micro fermé.

Mme Ardern s’est excusée auprès de son adversaire. Et les deux opposants ont ensuite convenu de vendre aux enchères un extrait du procès-verbal parlementaire couvrant l’incident afin de recueillir des fonds pour une œuvre de charité.

Reste à voir si cet esprit de collaboration survivra au scrutin à venir, qui doit normalement se dérouler à la fin de l’année.

« Je ne peux pas vous dire ce que l’avenir nous réserve parce que j’ai appris à me méfier de telles prédictions. Mais je peux vous dire que les travaillistes sont les mieux placés pour répondre aux défis. Amenez-en », a-t-elle lancé en novembre lors du congrès annuel de la formation.

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    Nombre de morts liées à la COVID-19 en Nouvelle-Zélande, soit 700 par million d’habitants
    source : Worldometer