L’adoucissement rapide de la stratégie de « zéro COVID » jusqu’ici promulguée par le régime de Xi Jinping fait craindre une explosion des cas

Le gouvernement chinois joue gros en décidant de lever rapidement plusieurs des restrictions sévères imposées depuis trois ans pour endiguer l’épidémie de COVID-19.

L’initiative, lancée la semaine dernière, se traduit déjà par une flambée de cas d’infection à Pékin et ailleurs et pourrait provoquer à terme des centaines de milliers de morts susceptibles d’alimenter une nouvelle vague de contestation embarrassante pour le régime communiste, préviennent des experts interrogés par La Presse.

Certaines études citées récemment par la revue Nature évoquent la possibilité d’un bilan supérieur à un million de morts, un chiffre qui n’a rien d’irréaliste, selon le DGaston De Serres, médecin épidémiologiste rattaché à l’Institut national de santé publique du Québec.

« Je suis assez inquiet de ce qui va survenir en termes d’hospitalisations et de décès quand la vague va déferler sur le pays », indique le spécialiste, qui évoque à titre indicatif le fait que les États-Unis ont atteint le seuil du million de morts avec une population quatre fois inférieure.

Les autorités chinoises peuvent évoquer à juste titre, dit-il, le fait que le variant Omicron est moins dangereux que les souches précédentes pour défendre la volte-face en cours, mais plusieurs facteurs d’importance, dont sa plus grande contagiosité, jouent contre elles.

Vaccination insuffisante

Le DDe Serres note que la stratégie de « zéro COVID » a permis pendant plusieurs années à la Chine de freiner « spectaculairement » la propagation du virus, mais ne s’est pas accompagnée d’efforts suffisants, notamment en matière de vaccination, pour garantir que la population soit adéquatement protégée au moment de l’inévitable relâchement des contrôles.

Alain Lamarre, spécialiste en immunologie rattaché à l’Institut national de la recherche scientifique (INRS), est aussi d’avis que les prochains mois vont être difficiles.

C’est clair qu’il va y avoir un impact important sur la population, c’est inévitable en raison du nombre de personnes qui ne sont pas adéquatement protégées. En ouvrant les vannes, le virus va se propager de manière extrêmement rapide.

Alain Lamarre, spécialiste en immunologie, Institut national de la recherche scientifique (INRS)

M. Lamarre s’inquiète particulièrement du fait que moins de la moitié des personnes âgées ont reçu trois doses de vaccin, le niveau requis avec les produits chinois utilisés pour assurer une protection efficace contre les formes graves de la COVID-19.

« Le Sinovac et le Sinopharm, qui sont utilisés là-bas, ont une efficacité moindre que les vaccins à ARN messager utilisés ici », souligne-t-il.

Manque de lits en soins intensifs

Le manque d’infrastructures hospitalières risque aussi d’avoir une incidence importante sur la manière dont la crise va se dérouler.

Le pays, note le DDe Serres, dispose d’un nombre proportionnellement limité de lits de soins intensifs dans le réseau de la santé et pourrait être submergé si les cas graves se multipliaient rapidement.

Le Global Times, un quotidien chinois proche du régime, prévenait il y a quelques jours qu’il est crucial d’accroître les ressources disponibles dans les milieux ruraux, moins bien dotés que les grandes villes.

Victor Shih, spécialiste de la Chine rattaché à l’Université de Californie à San Diego, note que les hauts dirigeants du Parti communiste chinois discutaient apparemment depuis un moment de la nécessité de relâcher les restrictions sanitaires.

Les manifestations survenues au cours des dernières semaines en réaction aux confinements à répétition et aux pratiques draconiennes de quarantaine ont surpris le régime et l’ont poussé à « accélérer grandement le processus » pour réduire les tensions.

Une vague importante de décès pourrait susciter une forte indignation au sein de la population et embarrasser le président Xi Jinping, qui a défendu pendant des années l’idée que des mesures strictes étaient nécessaires pour éviter une hécatombe, relève M. Shih.

Serge Granger, spécialiste de la Chine rattaché à l’Université de Sherbrooke, note que le dirigeant chinois a voulu lâcher du lest face aux manifestations populaires pour éviter de donner des armes à ses ennemis au sein du Parti communiste.

PHOTO PANG XINGLEI, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Le président chinois Xi Jinping, lors des funérailles de son prédécesseur, mardi dernier

« Il ne s’est pas fait beaucoup d’amis avec le temps », souligne le spécialiste, qui n’écarte pas la possibilité que la volte-face du gouvernement ait pour effet d’encourager d’autres manifestations contre le pouvoir central dans le futur.

Frédéric Lasserre, spécialiste de l’Asie enseignant à l’Université Laval, pense que le régime n’avait pas le choix de « lâcher du lest » puisque l’exaspération des Chinois face aux restrictions sanitaires ne cessait de croître.

Il paraissait par ailleurs impératif d’agir pour relancer l’économie, note l’analyste, qui voit la décision des autorités comme un « pari politique » difficile en raison des risques de dérapage sanitaire.

« Si ça se concrétise, est-ce qu’ils vont vouloir revenir en arrière et tenter de réimposer des confinements à grande échelle malgré les coûts sociaux et économiques, laisser aller les choses ou tenter d’imposer des demi-mesures ? C’est à voir », souligne-t-il.