(Tokyo) Le Japon doit dévoiler vendredi la plus importante révision de sa doctrine de défense depuis près d’une décennie, en prévoyant de gonfler ses dépenses militaires, de regrouper son commandement et d’augmenter la portée de ses missiles face à la Chine.

Il s’agit d’un virage majeur pour ce pays dont la Constitution pacifiste adoptée au lendemain de sa défaite à la fin de la Seconde Guerre mondiale lui interdit en principe de se doter d’une véritable armée.

« Renforcer fondamentalement nos capacités de défense est le défi le plus urgent dans cet environnement sécuritaire difficile », a encore insisté le week-end dernier le premier ministre Fumio Kishida.

Ce changement est surtout la conséquence de la crainte grandissante que la puissance militaire et les ambitions chinoises en Asie-Pacifique inspirent à Tokyo.  

Les tirs de missiles à répétition de la Corée du Nord et l’invasion de l’Ukraine par la Russie jouent aussi, tout comme le sentiment que la protection de Washington garantie par le Traité de sécurité nippo-américain ne suffit plus à elle seule.

« Capacité de contre-attaque »

Au centre de sa nouvelle « stratégie de sécurité nationale », le Japon prévoit de doubler son budget annuel de défense en le faisant passer d’environ 1 % de son PIB à 2 % d’ici 2027. Le pays s’alignerait ainsi sur un engagement similaire déjà pris par les pays membres de l’OTAN.

Le Japon entend notamment se doter d’une « capacité de contre-attaque », un concept qui jusqu’à récemment aurait été aussitôt jugé incompatible avec sa Constitution. Cela lui permettrait de frapper des cibles menaçant l’archipel depuis des pays voisins, même préventivement.

Selon les médias locaux, Tokyo devrait toutefois souligner son attachement à une stratégie reposant sur « l’autodéfense » et sa volonté de ne pas devenir une « puissance militaire », conformément à la Constitution.

Le Japon souhaiterait en particulier acquérir jusqu’à 500 missiles de croisière américains Tomahawk, tout en augmentant les capacités de son arsenal actuel.

Le pays a aussi annoncé vendredi son intention de développer un prochain avion de combat avec le Royaume-Uni et l’Italie. Il prévoit aussi selon la presse locale de construire une centaine de dépôts de munitions et de lancer des satellites pour mieux guider ses potentielles futures frappes de riposte.

Le haut commandement militaire japonais devrait par ailleurs être unifié en fusionnant d’ici cinq ans les directions respectives des trois branches des Forces d’autodéfense.

La présence des Forces d’autodéfense sur les îles les plus méridionales du Japon, les plus proches de Taïwan et donc de la Chine, doit en outre être augmentée, avec notamment un quasi triplement des unités d’interception de missiles balistiques, toujours selon les médias nippons.

« Normalisation » plutôt que militarisme

La nouvelle stratégie nationale de défense devrait clairement faire référence à la Chine.

Le Parti libéral-démocrate (PLD, droite nationaliste) dirigé par Fumio Kishida aurait voulu employer le terme de « menace » chinoise, mais les documents officiels attendus vendredi devraient plutôt considérer Pékin comme une source de « sérieuse inquiétude », une concession au parti Komeito, l’allié de centre droit du PLD.

Cela représenterait néanmoins un net durcissement de ton par rapport à la première publication de la stratégie nationale de sécurité du Japon en 2013, quand Tokyo disait vouloir rechercher « un partenariat stratégique mutuellement bénéfique » avec Pékin. Cette expression devrait désormais avoir disparu.

Les inquiétudes de longue date du Japon vis-à-vis de la Chine sont encore montées d’un cran en août dernier quand Pékin a multiplié des exercices militaires à proximité de Taïwan, lors desquels des missiles seraient tombés dans des eaux de la zone économique exclusive (ZÉE) de l’archipel nippon.

La nouvelle stratégie japonaise a de fortes chances d’irriter Pékin, qui fait régulièrement allusion au brutal militarisme nippon de la première moitié du XXe siècle, dont la Chine fut l’une des victimes.

Mais pour ses architectes à Tokyo, cette doctrine révisée est plutôt « la dernière étape en date d’une lente et graduelle normalisation » de la position japonaise en matière de défense et de sécurité nationale, a estimé James Brady, vice-président du cabinet d’études Teneo.