(Washington) Les autorités indiennes ont empêché une photographe de s’envoler pour les États-Unis afin d’y recevoir son prix Pulitzer, a-t-on appris auprès de la jeune femme, dernier exemple en date de journalistes cachemiris qui se voient interdire de quitter le pays.

Le département d’État américain a indiqué être au courant de l’interdiction de quitter le territoire visant cette photojournaliste et expliqué « suivre de près » l’évolution de la situation.

« Un engagement conjoint au sujet des valeurs démocratiques, notamment le respect de l’indépendance de la presse, est au fondement de la relation entre les États-Unis et l’Inde », a déclaré mercredi à la presse un porte-parole du département d’État américain, Vedant Patel.

Le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, a critiqué mercredi le bilan indien en matière de droits humains, qui, selon des observateurs, ont régressé durant le mandat du premier ministre nationaliste hindou Narendra Modi avec notamment certains journalistes, en particulier les femmes, qui ont été victimes de campagnes incessantes d’abus en ligne.

Sanna Irshad Mattoo est l’une des quatre journalistes travaillant pour l’agence de presse Reuters à avoir remporté le prestigieux prix de la photographie d’actualité cette année.

La jeune femme de 28 ans a été saluée pour ses reportages sur la vie au Cachemire indien, un territoire himalayen contesté et hautement militarisé où sévit une insurrection vieille de plusieurs décennies.

Elle a été arrêtée par les services d’immigration à l’aéroport de New Delhi mardi en fin de journée et empêchée d’embarquer, tandis que deux de ses collègues ont été autorisés à quitter le pays.  

Mme Mattoo a ensuite tweeté une photo de son billet portant la mention « annulé sans préjudice ».

« C’était une occasion unique pour moi », a regretté Mme Mattoo, également membre de la prestigieuse Fondation Magnum.  

« J’ai été arrêtée sans aucune raison et les autres ont été autorisés à partir. Peut-être que cela a quelque chose à voir avec le fait que je suis cachemirie », a-t-elle dit.  

C’est la deuxième fois cette année que la photographe est empêchée de quitter l’Inde.   

En juillet, elle avait été arrêtée de la même manière dans le même aéroport alors qu’elle voulait se rendre à Paris pour le lancement d’un livre et aux Rencontres photographiques d’Arles, dans le sud-est de la France.

L’Inde a cherché à asseoir son contrôle sur le Cachemire, qui est également revendiqué en totalité par le Pakistan voisin et qui est une source constante de tension entre les deux grands pays dotés de l’arme nucléaire.   

Des milliers de personnes y ont été tués depuis le début de la rébellion contre le régime indien en 1989, et plus d’un demi-million de soldats sont stationnés en permanence dans la région.  

Le gouvernement du premier ministre nationaliste hindou Narendra Modi a privé le territoire de son autonomie limitée en 2019, et pour prévenir toute révolte a coupé les connexions internet pendant des mois et enfermé des dirigeants politiques.   

Les journalistes étrangers ont été interdits d’accès au Cachemire et les reporters locaux basés dans le territoire disent avoir subi des pressions pour atténuer leurs propos.  

« Arbitraire et excessive »

Plusieurs autres journalistes cachemiris ont également été empêchés par les autorités de se rendre à l’étranger au cours des trois dernières années.

Le journaliste indépendant Aakash Hassan, collaborateur régulier du journal britannique The Guardian, n’a pas été autorisé à embarquer sur un vol de New Delhi à destination du Sri Lanka en juillet.  

Il a déclaré que des mois plus tard, les autorités ne lui avaient toujours pas communiqué les raisons pour lesquelles il n’avait pas été autorisé à voyager.  

« Il semble que cela n’arrive qu’aux journalistes cachemiris », a indiqué Aakash Hassan.  

La décision d’empêcher Mme Mattoo de partir est « arbitraire et excessive », a dénoncé Beh Lih Yi, du Comité pour la protection des journalistes, dans un communiqué.  

Elle a appelé l’Inde à cesser « toute forme de harcèlement et d’intimidation » contre les journalistes travaillant au Cachemire.