(Washington) Les tensions s’intensifient autour du sort de Taïwan, et placent la Chine et les États-Unis face à un choix délicat : jusqu’où peuvent-ils renforcer leur pression sans que la compétition diplomatique ne déraille en conflit entre les deux superpuissances nucléaires ?

Les deux premières économies mondiales s’opposent frontalement sur moult dossiers dans un climat de Guerre froide, mais la question taïwanaise est souvent considérée comme la seule susceptible de provoquer une confrontation armée.

Ces derniers jours, l’aviation militaire chinoise a réalisé un nombre record d’incursions près de l’île — que la Chine communiste considère comme une de ses provinces, menaçant régulièrement de recourir à la force en cas de proclamation formelle d’indépendance.

« C’était pour dire à Taïwan que personne ne peut venir à son secours », estime Oriana Skylar Mastro, chercheuse à l’université californienne de Stanford et au cercle de réflexion American Enterprise Institute.

Un avertissement donc, plutôt que des préparatifs pour une invasion, même si le gouvernement taïwanais redoute que Pékin soit capable de lancer une attaque d’envergure dès 2025.

Outre Washington, des alliés des États-Unis ont récemment pris des positions qui agacent les autorités chinoises : le Japon a soutenu Taïwan, notamment dans son intention de rejoindre un bloc commercial régional, et l’Australie a formé une alliance avec les Américains et les Britanniques, surnommée AUKUS, pour mieux contrer la Chine.

Risque de malentendu

Pour Oriana Skylar Mastro, cette dernière veut signifier par ses incursions aériennes que « rien de cela ne va modifier ses calculs stratégiques ».

Taïwan a son propre gouvernement depuis 1949 et la victoire des communistes sur la partie continentale de la Chine, qui promettent eux d’obtenir une réunification.

Les États-Unis reconnaissent depuis 1979 la République populaire de Chine, mais le Congrès américain impose parallèlement de fournir des armes à Taïwan pour son autodéfense.

Une position d’équilibriste qui a largement préservé la paix. Mais le risque existe qu’un malentendu dégénère en conflit : le chef d’état-major américain, Mark Milley, a récemment reconnu avoir appelé son homologue chinois lors de la fin chaotique du mandat de Donald Trump pour assurer que le président américain n’avait pas l’intention d’attaquer le pays rival.

Jake Sullivan, conseiller pour la sécurité nationale de l’actuel président Joe Biden, a discuté de Taïwan lors d’une réunion la semaine dernière en Suisse avec un des plus hauts diplomates chinois, Yang Jiechi.

Prié ensuite de dire, sur la BBC, si les États-Unis étaient prêts à intervenir militairement pour défendre l’île, il a répondu : « nous allons agir maintenant pour tenter de faire en sorte que cela ne soit jamais nécessaire ».

Un responsable du Pentagone a ainsi confirmé à l’AFP que des forces spéciales américaines entraînaient discrètement l’armée taïwanaise.

« Zone grise »

Mais l’administration Biden a pour l’instant bloqué une autre mesure symbolique qui permettrait à la mission taïwanaise à Washington de bénéficier de l’appellation plus officielle de Bureau de représentation de Taïwan.

« Vendre des armes est une chose qui mérite de prendre des risques, car cela aide Taïwan à tenir plus longtemps », explique Oriana Skylar Mastro. « Les changements de nom, cela peut servir à montrer que les États-Unis sont prêts au bras de fer, mais in fine ça risque surtout de renforcer la détermination chinoise. »

Selon Kuo Yujen, analyste politique à l’université nationale Sun Yat-sen de Taïwan, les autorités américaines tentent de montrer à Pékin que ses pressions croissantes sont « contreproductives pour les objectifs de la Chine et la stabilité du détroit de Taïwan ».

Or le président chinois Xi Jinping semble adresser des messages ambivalents. Malgré les incursions aériennes, il a aussi plaidé samedi pour une « réunification pacifique ».

Craig Singleton, de la Foundation for Defense of Democracies, un cercle de réflexion proche des « faucons » de la politique étrangère américaine, estime que ce discours était, « une fois n’est pas coutume, mesuré et réaliste ».

Washington devrait en tenir compte, dit-il, car « cela n’a pas beaucoup de sens de continuer à alimenter la volonté de Taïwan d’acquérir des armes sophistiquées et coûteuses tout en sachant qu’elles pourraient être détruites par l’armée chinoise dès les premières heures d’un éventuel conflit ».

Les États-Unis feraient mieux de se préparer une hausse des intimidations chinoises à l’égard de l’île et à une « compétition durable » dans une « zone grise » aux confins du conflit militaire classique, recommande-t-il.

Pour Michael Swaine, du Quincy Institute for Responsible Statecraft, qui plaide pour la retenue en diplomatie, Washington et Pékin doivent absolument renforcer le dialogue pour trouver le juste équilibre entre « dissuasion et bonne compréhension ».

« Les deux camps doivent reconnaître qu’ils contribuent tous deux à la collision à laquelle nous sommes en train d’assister au ralenti », prévient-il dans une récente note.