La Chine, qui tient mordicus à prendre le contrôle de Taïwan, intensifie les manœuvres militaires d’intimidation tout en durcissant les mises en garde envers le régime de Taipei, augmentant d’autant les risques de dérapage.

Pékin a notamment multiplié depuis le début de l’année les vols dans la zone de défense aérienne de l’île sans pénétrer pour autant son espace aérien formel, allant jusqu’à déployer 56 jets et bombardiers lors d’une sortie record survenue en début de semaine.

Le ministre de la Défense taïwanais, Chiu Kuo-cheng, a déclaré il y a quelques jours que les tensions militaires entre les deux pays avaient atteint un niveau qui n’avait pas été vu depuis 40 ans.

Les États-Unis, qui soutiennent Taïwan face aux pressions de la Chine sans pour autant reconnaître l’indépendance de l’île, ont lancé un appel au calme en accusant le régime du président chinois, Xi Jinping, de mener des actions « provocatrices » susceptibles de « miner la paix et la stabilité régionales ».

L’administration du président Joe Biden a prévenu du même coup que son soutien au régime de la présidente taïwanaise, Tsai Ing-wen, demeurait « solide comme le roc ».

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Tsai Ing-wen, présidente de Taïwan

Le rappel n’a pas eu l’heur de plaire aux tenants chinois de la ligne dure. Dans un éditorial, le Global Times a prévenu il y a quelques jours les partisans de la cheffe d’État, qui reste froide aux appels à la réunification, de « ne pas continuer à jouer avec le feu ».

« Ils doivent comprendre que le niveau de préparation de la Chine continentale pour utiliser la force contre les forces sécessionnistes taïwanaises n’a jamais été aussi élevé », a prévenu le quotidien ultranationaliste.

« Une option de dernier recours »

La montée de tension actuelle autour de l’île où le gouvernement nationaliste de Tchang Kaï-chek s’était réfugié en 1949 pour échapper aux forces communistes de Mao Zedong survient à la suite de décennies de rebondissements.

Il serait téméraire pour autant de n’y voir qu’une flambée sans conséquence, estime David Sacks, spécialiste de la région rattaché au Council on Foreign Relations, à Washington.

« La Chine ne fait pas que procéder à un étalage symbolique de sa force militaire », prévient l’analyste, qui voit dans la multiplication des vols, la composition de plus en plus diversifiée des escadrons et la complexité des manœuvres réalisées le signe que Pékin cherche activement à accroître ses capacités logistiques en vue d’une hypothétique reprise de l’île par la force.

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Xi Jinping, président de la République populaire de Chine

Le président Xi Jinping, note M. Sacks, se sent en position de force après le retrait chaotique des États-Unis de l’Afghanistan et la reprise en main agressive de Hong Kong, où l’instauration d’une loi sur la sécurité nationale a permis à Pékin d’étouffer toute velléité contestataire sans susciter réellement de contrecoup international.

« Je pense qu’une invasion chinoise de Taïwan serait tout de même très coûteuse et que le régime continue d’y voir une option de dernier recours », relève l’analyste, qui aimerait entendre l’administration américaine durcir le ton pour bien faire comprendre à la Chine sa détermination dans ce dossier.

Le fait que Washington répète que son engagement envers Taïwan est « solide comme le roc » marque un glissement sémantique non négligeable, mais insuffisant, dit-il, par rapport à la position traditionnelle d’« ambiguïté stratégique » voulant que les États-Unis ne disent pas clairement s’ils interviendraient militairement en cas d’attaque de Pékin.

« Il faut expliquer clairement à Pékin que le coût à payer serait très grand », souligne M. Sacks, qui voit la récente annonce d’une alliance stratégique entre les États-Unis, l’Australie et le Royaume-Uni comme un autre développement susceptible de peser sur la lecture que fait Pékin de la situation géostratégique actuelle.

Un front commun

Guy Saint-Jacques, ex-ambassadeur du Canada en Chine, note qu’il est important de considérer aussi les développements en cours au sein de la classe politique chinoise.

Xi Jinping, dit-il, est actuellement inquiet de l’impact des développements économiques en Chine, où l’effondrement annoncé d’un géant immobilier et la persistance de criantes inégalités alimentent la grogne.

L’utilisation de la carte nationaliste, note l’analyste, a très bien servi par le passé l’homme fort chinois, qui a notamment suscité une forte adhésion populaire avec la reprise en main de Hong Kong.

Une offensive contre Taïwan, ou à tout le moins une escalade des tensions, peut apparaître comme une façon intéressante de « détourner l’attention publique », indique M. Saint-Jacques, qui s’inquiète de la possibilité que des accrochages militaires accidentels mènent à un embrasement.

Les pays occidentaux, Canada inclus, doivent faire front commun pour décourager toute attaque contre Taïwan, dit-il.

M. Sacks dit espérer que la crise suscitée par l’arrestation de l’administratrice de Huawei, Meng Wanzhou, et la détention subséquente en Chine de deux ressortissants canadiens, a permis à Ottawa de comprendre qu’une approche conciliante a peu de chances de donner des résultats avec Pékin.