(Rangoun) Neuf manifestants ont été tués jeudi en Birmanie où, selon un expert de l’ONU, la junte « commet probablement des crimes contre l’humanité », tandis que l’ancienne dirigeante Aung San Suu Kyi a été accusée par les militaires de corruption.  

Dans la région de Myaing (centre), « six hommes ont été tués par balle et huit personnes ont été blessées, dont une se trouve dans un état critique », a raconté un secouriste à l’AFP.

Balle dans la tête

Cinq d’entre eux ont reçu une balle dans la tête, a affirmé un autre témoin.

Un septième mort a été recensé dans un quartier de l’est de Rangoun, la capitale économique : Chit Min Thu, 25 ans, a lui aussi été victime d’un tir en pleine tête. « J’avais appris récemment que sa femme était enceinte de deux mois », a confié à l’AFP la mère du défunt, Hnin Malar Aung.

À Bago, au nord-est de Rangoun, Zaw Zaw Aung, 33 ans, a également été abattu d’une balle dans la tête, a annoncé à l’AFP son père, Myint Lwin.

Un homme de 30 ans a en outre été tué à Mandalay, la deuxième ville birmane, où deux autres personnes ont été blessées, d’après un secouriste.

Nous n’avons pas pu récupérer son corps, car les équipes de secours sont elles aussi visées.

Un secouriste de Mandalay

Un homme blessé il y a huit jours à Monywa (centre) et un banquier de 26 ans originaire de la localité voisine de Myingyan, touché par une balle mercredi, sont morts jeudi des suites de leurs blessures.

L’Association d’assistance aux prisonniers politiques avait déjà dénombré mercredi au moins 60 civils tués et près de 2000 personnes arrêtées depuis le coup d’État du 1er février.

« Crimes contre l’humanité »

« Il y a de plus en plus de preuves » que l’armée et ses plus hauts dirigeants « commettent probablement des crimes contre l’humanité, y compris des meurtres, des disparitions forcées, des persécutions, des tortures et des incarcérations en violation des règles fondamentales du droit international », a accusé jeudi devant le Conseil des droits de l’homme à Genève Thomas Andrews, le principal expert indépendant mandaté par les Nations unies sur ce dossier.

Pour qu’il soient qualifiés ainsi, il faut que ces actes « soient commis dans le cadre d’une attaque d’ampleur ou systématique contre une population civile quelle qu’elle soit et en connaissance de cause », a-t-il rappelé, ce qui correspond selon lui à ce qui se passe en Birmanie, même si, a-t-il souligné, il appartiendrait à une cour de justice d’en décider.

Amnistie internationale a quant à elle dénoncé jeudi des « exécutions extrajudiciaires » et le recours à des armes de guerre.

Cette ONG a expliqué dans un communiqué avoir analysé 55 vidéos, filmées entre le 28 février et le 8 mars par la population et des médias, montrant que « la force létale est utilisée de manière planifiée, préméditée et coordonnée ».

Nouvelles accusations contre Aung San Suu Kyi

Malgré les pressions internationales, le pouvoir birman accusé l’ancienne cheffe du gouvernement civil Aung San Suu Kyi, renversée par le putsch et mise au secret depuis, d’avoir reçu pour 600 000 dollars de pots-de-vin et plus de 11 kilos d’or.

La lauréate du prix Nobel de la Paix avait déjà été inculpée au début du mois de violation d’une loi sur les télécommunications et d’« incitation aux troubles publics ». Il lui est par ailleurs officiellement reproché d’avoir illégalement importé des talkies-walkies et de ne pas avoir respecté des restrictions liées au coronavirus.

« Il est maintenant temps de procéder à la désescalade » et de « dialoguer », a dans ce contexte jugé l’ambassadeur chinois à l’ONU, Zhang Jun.

« Critiquer les militaires, c’est une première pour la Chine », qui a comme l’ensemble des 14 autres membres du Conseil de Sécurité de l’ONU « fermement » condamné mercredi les violences contre les manifestants, a relevé un diplomate européen.

Les États-Unis ont de leur côté pris des sanctions contre deux enfants du chef de la junte, Min Aung Hlaing.

Priorité aux grandes villes

Occupés sur plusieurs fronts, les généraux birmans cherchent à concentrer leur action sur les manifestations.

Le journal d’État The Mirror a ainsi annoncé jeudi que l’armée Arakan, en conflit avec les autorités dans l’État Rakhine (ouest), ne serait plus considérée comme une organisation terroriste.

Ce groupe armé lutte en faveur d’une plus grande autonomie pour la population dite Rakhine. En près de deux ans, les combats avec les forces gouvernementales ont fait des centaines de morts et contraint quelque 200 000 personnes à fuir leurs maisons.

« Les militaires de Tatmadaw (l’armée birmane) ont de nombreux ennemis, ils ne veulent pas opérer sur trop de fronts à la fois et le front le plus pressant à l’heure actuelle est contre la majorité ethnique des Birmans dans les grands centres urbains », a expliqué à l’AFP Hervé Lemahieu, un expert auprès de l’institut Lowy en Australie.

Le passage en force des généraux, alléguant de vastes fraudes électorales aux législatives de novembre massivement remportées par le parti d’Aung San Suu Kyi, la Ligue nationale pour la démocratie (LND), a mis fin à une décennie de transition démocratique en Birmanie.