(Rangoun) Les Birmans ont voté dimanche pour des législatives qui devraient permettre au parti d’Aung San Suu Kyi, très critiquée à l’international pour sa gestion de la crise des musulmans rohingya mais toujours adulée par une majorité de la population, de conserver le pouvoir.

Bravant la pandémie de COVID-19 qui frappe violemment le pays, plusieurs centaines de supporters célébraient déjà la victoire dimanche soir à Rangoun devant le quartier général du parti d’Aung San Suu Kyi, la Ligue nationale pour la démocratie (LND).

Le dépouillement a commencé en début de soirée, mais les résultats ne devraient pas être connus avant plusieurs jours.

Il s’agissait des secondes élections générales depuis 2011, année de la dissolution de la junte au pouvoir pendant un demi-siècle.

Une fois investis, les parlementaires procèderont à l’élection du président birman.

La Constitution empêche Aung San Suu Kyi de prétendre à cette fonction car elle a été mariée à un étranger. Elle pourrait se voir renommer « conseillère spéciale de l’État », un poste créé sur mesure qui lui permet de diriger de facto le pays.  

Chaque électeur se doit d’aller voter pour « écrire sa propre histoire », avait déclaré la dirigeante jeudi sur Facebook, implorant la population de se rendre aux urnes malgré la récente flambée de coronavirus.

Avec plus de 60 000 cas confirmés et près de 1400 décès, la situation du pays au système de santé défaillant est l’une des plus préoccupantes d’Asie du Sud-Est et de nombreuses voix avaient exhorté les autorités à reporter l’élection, en vain.

Et des millions d’électeurs se sont rendus dans les bureaux de vote où visières, masques et gel hydroalcoolique ont été distribués.

« Je suis inquiète, j’ai peur du coronavirus, mais on doit voter pour le bien de tous », a déclaré à l’AFP Zin Mar Thant, une habitante de Rangoun.

« Je veux que le parti au pouvoir continue. Je pense qu’ils sont capables de faire changer les choses, mais il leur faut plus de temps », a relevé de son côté Zaw Zaw Htway, un chauffeur de 42 ans.

En 2015, le parti d’Aung San Suu Kyi avait remporté une victoire écrasante. Mais il avait été forcé à un délicat partage du pouvoir avec l’armée qui contrôle trois ministères clés (l’Intérieur, la Défense et les Frontières) et 25 % des sièges au Parlement.

Le succès de la LND ce dimanche devrait être plus mitigé.

En cause, l’ouverture du champ politique, avec l’apparition de dizaines de nouveaux partis, mais aussi l’échec de « la dame de Rangoun » à conclure la paix avec plusieurs minorités rebelles et son maigre bilan en matière de santé ou de lutte contre la pauvreté.

« Élection de l’apartheid »

Le secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres, a dit espérer la tenue d’« élections pacifiques, ordonnées et crédibles ». Toutefois, la légitimité du scrutin est remise en cause.

Le vote dans une grande partie de l’État Rakhine (nord-ouest), où les violences entre militaires et rebelles se sont intensifiées, a été annulé, officiellement pour des raisons de sécurité. Mais, pour certains, c’était aussi un moyen de faire taire les partis ethniques qui étaient susceptibles de l’emporter dans la région.

Les quelque 600 000 musulmans rohingya restés dans le pays, dont la moitié sont en âge de voter, se voient pour leur part toujours refuser la citoyenneté birmane et n’ont pas se rendre aux urnes.  

Au total, près de deux millions de personnes sont privées de participation dans le pays de 37 millions d’électeurs, des exclusions qui pourraient encore attiser les violences politiques, mettent en garde les experts.

« Il s’agit d’une élection de l’apartheid », a dénoncé l’ONG Burma Campaign UK.

Pour l’organisation Forum-Asia, « l’exclusion (du vote) des communautés les plus vulnérables “montre que” la promesse de la démocratie ne s’est pas matérialisée » malgré l’accession au pouvoir d’Aung San Suu Kyi.  

Encore très appréciée en Birmanie, notamment chez les Bamars, l’ethnie bouddhiste majoritaire (75 % de la population), la prix Nobel de la paix 1991 est tombée de son piédestal à l’international.

Elle est pointée du doigt pour son mauvais bilan en matière de droits humains et sa passivité dans le drame des Rohingya, qui ont fui depuis 2017 par centaines de milliers les exactions de l’armée et se sont réfugiés au Bangladesh. La Cour internationale de justice, plus haute instance judiciaire de l’ONU, avait ordonné en janvier à la Birmanie de prendre des mesures pour prévenir un » génocide « à l’encontre des Rohingya.

Venue en personne défendre son pays devant la Cour, l’ex-icône de la démocratie avait nié toute « intention génocidaire », un point de vue globalement partagé par les Bamars qui considèrent les Rohingya comme des immigrés illégaux.