(Hong Kong) Il n’y a pas que le fait de manifester qui peut, fin 2020 à Hong Kong, mener en prison. Au terme d’une année de recul sans précédent des libertés dans l’ex-colonie britannique, on peut aussi être poursuivi pour un slogan ou un tweet.

La Chine s’était engagée, avant de récupérer Hong Kong en 1997, à préserver les libertés et la semi-autonomie du territoire pendant 50 ans, en application du principe « Un pays, deux systèmes » négocié avec Londres.

Mais échaudées par le vaste mouvement de contestation de leur tutelle en 2019, les autorités chinoises ont engagé cette année une reprise en main musclée du territoire, reniant l’engagement pris il y a 23 ans.

C’est désormais Pékin qui fixe son agenda à Hong Kong, où certaines opinions sont maintenant passibles de la prison à vie.

Le tournant est intervenu au mitan de cette année charnière, le 30 juin, quand la Chine a imposé à sa turbulente région une nouvelle loi sur la sécurité nationale, sans même la soumettre au Conseil législatif (LegCo), le parlement local.

Pour le camp pro-Pékin, cette loi était nécessaire pour rétablir le calme dans un territoire chahuté par plus de six mois de manifestations en 2019.

« Que cela nous plaise ou non, elle a été efficace pour ramener la paix et la stabilité à Hong Kong », observe ainsi la députée Regina Ip.

La stabilité d’une tombe

Mais pour les détracteurs du texte, il est le dernier clou dans le cercueil de la semi-autonomie, une façon d’enterrer définitivement ces libertés qui ont fait la prospérité de Hong Kong.

« Cette “stabilité”, c’est celle que l’on connaît quand on est dans sa tombe », ironise Philip Dykes, président sortant de l’Association du barreau.

« Les infractions définies dans la loi sur la sécurité nationale portent sur ce que les gens disent, et pas sur ce que les gens font ».

Avant même que la loi ne soit imposée, la ville avait déjà considérablement changé de visage en six mois.

Les restrictions imposées contre le coronavirus ont eu pour effet d’interdire toute possibilité de manifester.  

Les tribunaux croulent sous le poids du contentieux hérité de la mobilisation de 2019.

Le LegCo, dont seule la moitié des membres sont élus au suffrage universel, est privé de toute voix dissidente depuis que les élus prodémocratie ont démissionné par solidarité avec leurs collègues qui avaient été évincés pour leurs opinions.

Les autorités locales ont en outre interdit à plusieurs figures de l’opposition de se présenter aux législatives prévues en septembre. Puis, citant le prétexte du coronavirus, elles ont purement et simplement reporté d’un an ces élections qui risquaient d’être marquées par un nouveau raz-de-marée prodémocratie.

Gel des comptes

L’instrument le plus efficace de cette répression aura été la loi sur la sécurité qui, sur le papier, vise quatre crimes : la sécession, la subversion, le terrorisme et la collusion avec les forces étrangères.

Dans les faits, sa formulation très vague permet de poursuivre l’expression de certaines opinions comme le fait de prôner l’indépendance de Hong Kong, une plus grande autonomie, ou de défendre les sanctions internationales.

L’immense majorité des dossiers ouverts par la police en vertu de la loi portent ainsi sur des délits d’opinion.

Le magnat des médias Jimmy Lai, figure du camp prodémocratie, est poursuivi pour des tweets et pour des interviews.

Également détenu, le militant étudiant Tony Chung, 19 ans, est poursuivi pour sécession dans un dossier lié à ses publications sur des réseaux sociaux.

Le mois dernier, plusieurs personnes ont été arrêtées pour avoir scandé des slogans interdits lors d’un petit rassemblement sur un campus.

Autre inquiétude, la fin de la souveraineté hongkongaise en matière judiciaire, puisque la justice chinoise est désormais compétente à Hong Kong sur certains crimes et que pour la première fois ses agents peuvent légalement y opérer.

Les autorités ont multiplié les gels des comptes bancaires des suspects.

En réponse, les États-Unis ont révoqué leurs dispositions commerciales spéciales avec la ville et prononcé des sanctions à l’égard de responsables locaux comme la cheffe de l’exécutif Carrie Lam.

« De nouveau moi-même »

Mais la célérité de la répression chinoise a surpris jusque dans les rangs de l’establishment.

« Chaque jour qui passe, je reconnais un peu moins la ville où je suis né », écrivait début décembre dans le South China Morning Post Michael Chugani, un chroniqueur connu pour ses opinions pro-Pékin.

La ville, poursuivait-il, est désormais perçue comme une ville « où on limite la liberté d’expression, où on restreint le droit de manifester, où on musèle les médias, où on écrase l’opposition par des arrestations, où on gèle les comptes en banque ».

Pourtant, la colère exprimée par la population en 2019 ne s’est pas apaisée, affirme le politologue Derek Yuen. Mais « Pékin cherche à nettoyer Hong Kong au plus vite », dit-il.

La preuve en est qu’après une série d’acquittements, un haut responsable de Chine continentale a demandé une réforme judiciaire.

Mme Lam, elle, est apparue au fil des mois de plus en plus combative.

Elle qui semblait jouer la carte de la conciliation en début d’année en promettant d’« écouter humblement » après des mois de chaos a déclaré en novembre au SCMP qu’elle avait « repris confiance » et ne regrettait aucune de ses décisions.

« Je suis de nouveau moi-même », claironnait-elle.