Les Nord-Coréens qui se retrouvent aux prises avec le système judiciaire du pays sont traités comme s’ils valaient « moins que des animaux » et soumis à un processus « arbitraire et violent » débouchant presque systématiquement sur de lourdes peines de travaux forcés.

Un nouveau rapport de Human Rights Watch basé sur les témoignages d’une quinzaine d’ex-détenus ayant réussi à échapper au régime totalitaire de Kim Jong-un indique que les pots-de-vin et les contacts avec des officiels haut placés constituent la seule manière d’échapper à l’arbitraire.

La population locale « vit dans la peur constante d’être prise dans un système où les procédures officielles sont habituellement inutiles et la culpabilité est présumée », a indiqué lundi Brad Adams, directeur pour l’Asie de l’organisation de défense des droits de la personne.

Les Nations unies ont sonné l’alarme il y a quelques années sur le sort tragique des prisonniers politiques de la Corée du Nord, qui « disparaissent » sans procès ni décision de justice dans des camps où ils sont « progressivement éliminés » par dizaines de milliers.

Ses enquêteurs avaient aussi évoqué l’existence de « graves violations » dans le système pénitentiaire « ordinaire » en relevant que la grande majorité des détenus qui s’y trouvent sont privés de leur liberté sur la base de procès n’offrant aucune garantie d’équité.

Ces abus, relève Human Rights Watch dans son rapport, commencent dès le début de la détention provisoire et de la phase d’interrogatoire, la torture étant presque systématiquement utilisée pour obtenir des « aveux » qui devraient officiellement être sans valeur pour les tribunaux.

« Les règles disent qu’il ne devrait pas y avoir de passage à tabac, mais nous avons besoin de confessions durant l’enquête préliminaire », a expliqué un ancien agent en relevant que les accusés étaient privés de nourriture et de toute source de réconfort durant cette phase pour les rendre plus conciliants.

Même les rares suspects qui seront ultimement relâchés, a-t-il expliqué, « doivent vivre une expérience difficile, qui sera humiliante, pour qu’ils deviennent comme des machines et prennent la décision de ne plus jamais commettre de crimes ».

Yoon Young-cheol, ex-fonctionnaire dans la trentaine qui avait été dénoncé comme un « espion » auprès des autorités, a témoigné qu’il avait été sauvagement battu pendant près d’un mois.

« L’enquête ne suivait pas vraiment de procédures, ils ne faisaient que me frapper. […] Ils m’ont donné des coups de pied, frappé avec leurs poings ou un épais bâton partout sur le corps », a relaté l’ex-détenu, présenté sous un pseudonyme, comme les autres personnes citées, pour ne pas permettre son identification par le régime nord-coréen.

Les détenus interrogés par Human Rights Watch ont indiqué qu’ils étaient placés, entre les séances d’interrogatoire, dans des cellules surchargées.

Les geôliers exigeaient qu’ils demeurent assis au sol, immobiles, le regard vers le bas, parfois jusqu’à 16 heures par jour en excluant les pauses pour le repas. Toute dérogation était durement sanctionnée, parfois de manière collective.

« Si quelqu’un bougeait, ce qui arrivait souvent, les gardiens m’ordonnaient ou ordonnaient à tout le monde de passer les mains à travers les barreaux et ils marchaient dessus avec leurs bottes ou ils les frappaient avec leurs ceintures de cuir », a souligné Park Ji-cheol, ex-bûcheron dans la vingtaine qui a fui la Corée du Nord en 2014.

L’ancien détenu a indiqué qu’il avait souffert de la faim, puisque les rations quotidiennes offertes aux prisonniers étaient dérisoires. Les biens de base, comme le savon, les vêtements ou les matelas, n’étaient pas fournis.

Des femmes interrogées par les enquêteurs de Human Rights Watch ont indiqué par ailleurs que les agressions sexuelles étaient fréquentes. L’une d’elles, Kim Sun-young, a indiqué qu’elle avait été violée par deux enquêteurs, mais ne pouvait rien faire « parce que son destin était dans leurs mains ».

Certains détenus ont indiqué qu’ils avaient réussi à améliorer leur situation en faisant parvenir des pots-de-vin aux geôliers ou à leurs proches, ou encore en obtenant l’intervention de personnalités du régime.

Ces interventions ont servi à assouplir les conditions de détention des prisonniers concernés et parfois à réduire leur peine éventuelle.

Jin Sol, ex-soldat dans la trentaine qui était accusé de contrebande, a réussi, grâce à sa femme en 2013, à obtenir le privilège de sortir régulièrement de sa cellule pour marcher ou fumer une cigarette.

Les pots-de-vin ne l’ont pas mis à l’abri pour autant de la violence. « Si les gardiens étaient vraiment énervés, ils rentraient dans la cellule et nous battaient. Ça arrivait tous les jours, dans notre cellule ou les autres, on pouvait l’entendre. Le but était de maintenir la tension », a-t-il relaté.

Human Rights Watch pense que le système judiciaire nord-coréen tel que décrit par les détenus interrogés est « moyenâgeux » et presse le régime de le revoir de manière à ce que la résolution de crimes allégués soit basée sur des « preuves crédibles » plutôt que sur la torture.