(Bangkok) Des dizaines de milliers de manifestants prodémocratie ont bravé dimanche, pour la quatrième journée consécutive, l’interdiction de rassemblement à Bangkok pour réclamer la démission du premier ministre et une réforme de la monarchie, avant de se disperser dans le calme.

Le plus gros rassemblement s’est tenu près du Monument de la Démocratie, au cœur de la capitale thaïlandaise, et les militants ont chanté l’hymne national, levant trois doigts, un geste de résistance emprunté au film Hunger Games.

« Dissolution du Parlement ! », « Honte au dictateur », a scandé la foule.

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Les tensions de vendredi, où la police a évacué les protestataires à l’aide de canons à eau, n’ont pas dissuadé la contestation, une majorité de jeunes.

Plusieurs manifestants ont brandi des portraits de leaders du mouvement arrêtés ces derniers jours, dont celui de l’activiste Anon Numpa, l’un des critiques les plus virulents à l’encontre de la royauté.

Des casques, des lunettes et des masques de protection ont été distribués contre une éventuelle charge des forces de l’ordre.

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« Parler librement du roi »

« Il n’y aura pas de démocratie dans ce pays sans réforme de la monarchie », a relevé un jeune de 24 ans, sous couvert d’anonymat.

« Je veux pouvoir parler librement du roi, c’est un droit légitime », a lancé une étudiante.

Le mouvement exhorte à l’abrogation de la loi de lèse-majesté, qui punit de trois à quinze ans de prison toute diffamation ou insulte envers le monarque et sa famille.

Il demande aussi davantage de transparence dans les finances de la richissime monarchie et la non-ingérence du souverain dans les affaires politiques.

Le roi Maha Vajiralongkorn n’a pas directement commenté les évènements, mais déclaré que la Thaïlande avait « besoin d’un peuple qui aime son pays ».

« Le gouvernement est prêt à écouter tout le monde », a relevé de son côté dimanche soir le porte-parole de l’exécutif, Anucha Burapachaisri.

Mais nous continuons à « surveiller les personnes qui n’ont pas de bonnes intentions et qui pourraient profiter des manifestations pour créer de la violence ».

Deux autres rassemblements, moins importants, se sont tenus dans la mégalopole.

Les organisateurs avaient appelé à des manifestations dans plusieurs provinces du royaume, mais aussi en France, aux États-Unis, au Canada ou encore en Norvège.

Les contestataires « ont désormais prouvé qu’ils étaient une force avec laquelle il fallait compter », a relevé Thitinan Pongsudhirak, politologue de l’Université Chulalongkorn à Bangkok. « Leurs demandes sont énormes, mais il est peu probable qu’ils reviennent les mains vides ».

Réforme de la constitution

Le mouvement, qui défile depuis trois mois, réclame une réforme de la Constitution.

« Il faut changer l’amendement sur les sénateurs », entièrement nommés par l’armée, a relevé Phat, un avocat de 24 ans, venu au rassemblement.

La protestation demande aussi la démission du premier ministre, le général Prayut Chan-O-Cha, porté au pouvoir par un coup d’État en 2014 et légitimé par des élections controversées l’année dernière.

Certains dénoncent son « mauvais » bilan économique alors que le pays, verrouillé depuis la pandémie de coronavirus et très tributaire du tourisme, est en pleine récession, avec des millions de personnes sans emploi.

Le militaire a averti qu’il ne démissionnerait pas, brandissant la menace d’un couvre-feu si la situation perdurait.

Interdiction des rassemblements de plus de quatre personnes, proscription des publications en ligne jugées « contraires à la sécurité nationale » : les autorités ont déjà promulgué jeudi des mesures d’urgence pour tenter de briser la contestation.

Elles ont motivé leur décision en dénonçant des incidents à l’encontre d’un cortège royal : des dizaines de manifestants avaient levé mercredi trois doigts devant le véhicule de la reine Suthida en signe de défi.

Le décret d’urgence promulgué est « un feu vert […] pour violer les droits fondamentaux et opérer des arrestations arbitraires en toute impunité », a déploré samedi l’ONG Human Rights Watch, alors que plusieurs dizaines d’activistes ont été arrêtés ces derniers jours.

La Thaïlande est habituée aux violences politiques, avec 12 coups d’État depuis l’abolition de la monarchie absolue en 1932. Certains observateurs relèvent qu’une nouvelle prise du pouvoir par les militaires pourrait être envisageable si la situation devait perdurer.

De nouvelles manifestations devraient avoir lieu lundi. « Les tensions entre les deux camps vont monter », avertit Thitinan Pongsudhirak.