(Kothli Qazi) « Il a défendu le prophète. » Arshad Mahmoud, le père de l’attaquant au hachoir de Paris, est persuadé du bon droit de son fils, qui pensait s’en prendre à l’hebdomadaire satirique Charlie Hebdo, honni au Pakistan, où la question du blasphème est incendiaire.

Dans la vaste maison familiale de Kothli Qazi, petit village de la province du Pendjab entouré de cultures céréalières verdoyantes, tous soutiennent Zaheer Hassan Mahmoud, 25 ans, dont le geste a plongé la France dans l’horreur.  

« Il a tué celui qui manque de respect au prophète. Ceux qui font cela vont au paradis, avec toute leur famille », affirme le père, au discours préparé, qui dit se sentir « très bien » après « la bonne action » de son fils.

Vendredi, celui-ci n’a pourtant pas tué mais grièvement blessé au hachoir deux personnes dont il croyait, à tort, qu’elles travaillaient pour Charlie Hebdo. Ses motivations : la récente republication des caricatures du prophète Mahomet.

« Nous espérons que la justice l’emportera », commente son frère Harun Arshad, qui croit en une « faible sanction » en raison du « jeune âge » de l’assaillant présumé.

Troisième fils d’une famille de huit enfants, Zaheer Hassan Mahmoud s’est fait faire de faux papiers au nom Hassan Ali, âge 16 ans, avant de s’engager sur les routes migratoires clandestines. Il est entré dans l’Union européenne via la Turquie et la Grèce, explique Harun Arshad.

Aux enquêteurs français, l’assaillant a déclaré être arrivé en France en août 2018, où il a bénéficié de l’aide sociale à l’enfance grâce à son faux statut de mineur.

« Honneur blessé »

Inconnu des services de renseignement hexagonaux, celui qui a été inculpé pour « tentatives d’assassinats en relation avec une entreprise terroriste » puis écroué a appelé sa famille avant de passer à l’acte.

« Il nous a expliqué qu’il le ferait après les prières du vendredi. Il a aussi appelé l’un de ses amis et lui a dit qu’il avait vu le saint prophète dans ses rêves », raconte sa mère Rukhsana Begum.

« Son honneur était blessé. Il a été obligé de faire quelque chose », justifie-t-elle. Et de s’en prendre aux blasphémateurs du prophète Mahomet, « des Juifs », selon elle.

Le blasphème est une question brûlante au Pakistan, où même des allégations non prouvées d’offense à l’islam peuvent entraîner assassinats et lynchages. En août, un Américain faisant face à de telles accusations a été abattu dans l’enceinte d’un tribunal à Peshawar.

L’acquittement fin octobre 2018 de la chrétienne Asia Bibi, qui avait passé plus de huit ans dans les couloirs de la mort pour blasphème, ce qu’elle a toujours nié, avait provoqué des manifestations violentes dans tout le pays.

À la manœuvre, le parti extrémiste Tehreek-e-Labbaik Pakistan (TLP), dont la lutte contre le blasphème est la principale arme politique, et dont l’attaquant au hachoir « regardait abondamment » les vidéos ces derniers temps, selon la justice française.

Interrogé par l’AFP, un cadre du TLP a expliqué que ce mouvement « devrait rester silencieux sur l’affaire, car (l’assaillant) a frappé les mauvaises personnes ».

Annihilation atomique

Le décalage est important avec l’année 2018, quand le TLP avait menacé de « faire disparaître les Pays-Bas de la face de la terre » par l’arme atomique, après que le député anti-islam Geert Wilders avait annoncé la tenue d’un concours de caricatures de Mahomet.

« Charlie Hebdo ne devrait pas faire ce genre de choses. Et le gouvernement français ne devrait jamais soutenir ce journal au nom de la liberté d’expression », ajoute ce cadre du TLP. « S’ils continuent, il y aura davantage d’incidents du genre ».

Car la question du blasphème prend toujours plus de place au Pakistan. Le jour de l’attaque parisienne, le premier ministre Imran Khan, dans un discours devant l’ONU, a qualifié les choix éditoriaux de Charlie Hebdo de « provocation délibérée et d’appel à la haine ».

Or la diaspora pakistanaise est très nombreuse en Europe. Le frère aîné de Zaheer Hassan Mahmoud a vécu dix ans en France. Son cadet, relâché après plusieurs jours de garde à vue, y habite toujours. Un autre frère travaille en Italie.

Dans le village de Kothli Qazi, aussi prospère que religieux, nombre de familles ont envoyé leurs enfants sur le Vieux continent.

Un « choc culturel » les y attend, estime Omar Waraich, responsable d’Amnistie international en Asie du Sud : « En France, la satyre de la religion est une tradition et les gens ne s’en offusquent pas, alors que pour de nombreux Pakistanais, l’insulte au prophète est la plus grave qui soit ».

Le décalage ne pourrait être plus vaste entre Kothli Qazi et Paris. Mercredi, alors qu’une des victimes françaises, blessée au crâne, était toujours hospitalisée dans un état très grave, le village pakistanais devait se rassembler pour célébrer son agresseur.

La population est « extrêmement fière » de lui, s’enthousiasme Haji Qaiser, un voisin de la famille.