À peine 130 kilomètres séparent l’île de Taïwan des côtes chinoises. Plus de 1 million de Taïwanais travaillent en Chine. Des dizaines de milliers de passagers circulent chaque jour entre Taipei et les principales villes chinoises.

Pourtant, l’épidémie de COVID-19, qui a dévasté la Chine avec plus de 80 000 personnes contaminées et 3200 morts, semble avoir épargné Taïwan. La vie au temps du coronavirus s’y déroule presque normalement, les enfants vont à l’école, les commerces et les restaurants restent ouverts. À peine une cinquantaine des 23 millions de Taïwanais ont été contaminés. Et un seul en est mort.

Comment expliquer ce contraste entre deux territoires tissés aussi serré ? Peut-être justement par cette proximité, qui a incité les autorités taïwanaises à lancer leur offensive anti-COVID-19 dans les jours qui ont suivi les débuts de la pandémie, avance Alex Carignan, infectiologue et microbiologiste au Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke.

« Les Taïwanais étaient inquiets », observe-t-il. Et cette crainte les a incités à déployer rapidement l’artillerie lourde.

Les premiers cas d’infection au coronavirus en Chine ont été rapportés à l’Organisation mondiale de la santé le 31 décembre. Cinq jours plus tard, Taïwan avait mis en place un système de surveillance sanitaire. Le 20 janvier, il a activé le Centre de commandement sanitaire d’urgence en cas d’épidémie — créé dans la foulée de l’épidémie de SRAS, en 2003.

Rapidement, Taipei a annulé les vols en provenance de Wuhan, le foyer de l’épidémie en Chine. Puis les vols entre la Chine et Taïwan ont été massivement réduits.

Le 24 janvier, l’État s’est lancé dans une production massive de masques de protection : jusqu’à 10 millions par jour. Une application permettait aux gens de savoir quelle pharmacie en avait encore en stock. Le 27 janvier, l’installation d’une puce sur les cartes d’assurance maladie des Taïwanais a permis à l’État de suivre leurs déplacements internationaux. Et à compter du 14 février, tout passager en direction de Taïwan devait répondre à un questionnaire détaillé sur son état de santé et ses déplacements — les cas suspects pouvaient être identifiés dès l’arrivée, et placés en isolement.

« La rapidité de détection des cas de contagion, c’est la clé, résume le Dr Alex Carignan. La charge du virus est maximale dans les premiers jours de l’infection, il est donc critique de diagnostiquer et d’isoler le patient. »

Test diagnostique à l’auto

« 16 h 55, 17 h 02, sept minutes, deux personnes. »

De tels slogans étaient affichés dans des zones routières spécialement aménagées pour permettre aux Sud-Coréens de subir un test de détection du coronavirus. Une sorte de « drive-in » de détection express.

La Corée du Sud a misé sur les tests diagnostiques à grande échelle. Les premiers ont été réalisés le 11 janvier. Le premier cas d’infection a été confirmé une semaine plus tard.

PHOTO KIM KYUNG-HOON, REUTERS

En Corée du Sud, des zones routières ont été spécialement aménagées pour permettre aux Sud-Coréens de subir un test de détection du coronavirus. Une sorte de « drive-in » de détection express.

Dans ce pays, l’épidémie a pris naissance dans la ville de Daego, qui abrite un important mouvement chrétien. Les 211 000 fidèles de ce mouvement ont tous dû passer le test. D’abord ceux qui avaient des symptômes. Ensuite, tous les autres.

Cela n’a pas permis à la Corée du Sud d’échapper au virus. Elle reste au quatrième rang des pays les plus touchés, après la Chine, l’Italie et l’Iran. Mais quand on regarde les courbes illustrant l’expansion de la COVID-19 depuis le début de la contamination, on voit celles de ces trois pays s’envoler à la verticale, tandis que celle de la Corée du Sud s’aplanit dès le 10e jour de l’épidémie.

Si ce pays a pu ralentir la progression du coronavirus, c’est en grande partie grâce à sa politique généralisée de tests diagnostiques, écrit l’Asia Times.

Cette politique a aussi fait baisser le taux de mortalité, qui n’est que de 0,7 % en Corée du Sud, contre 3 à 4 % ailleurs. D’abord, parce que des patients ont pu recevoir des soins plus rapidement. Mais aussi, signale le Dr Alex Carignan, parce que des cas d’infection bénigne ont été ajoutés aux statistiques — des gens qui, autrement, n’auraient jamais été détectés. En d’autres mots, le nombre de morts était comparé à un plus grand nombre de malades.

En revanche, ces derniers ont pu être mis en quarantaine — et éviter de propager la maladie. Et la quarantaine était suivie de près : une puce téléphonique permettait au gouvernement d’identifier les personnes isolées qui s’éloignaient trop de leur domicile.

Frappés assez tôt par l’épidémie de coronavirus, Hong Kong et Singapour ont également réussi à freiner la contagion. Ils ne comptent que 200 cas d’infection chacun. La détection de la maladie a aussi joué un rôle dans leur cas, constate un reportage du réseau de radio publique américaine NPR. Dès le début de l’épidémie, Hong Kong s’est empressé d’équiper ses hôpitaux de kits diagnostiques et de laboratoires d’analyses.

Il n’y a pas de recette miracle pour empêcher la progression de la maladie. Mais il y a des moyens de la freiner. Le Dr Alex Carignan cite les trois principaux ingrédients : la rapidité de détection, l’isolement et la distanciation sociale.

Et au Québec ?

« On a la chance d’arriver tard dans le cours de la pandémie, on peut apprendre des autres », dit l’infectiologue.

Selon lui, le réseau de diagnostic de la COVID-19 qui est en train de se mettre en place dans le système médical québécois arrive à temps. Ce qui manque, aujourd’hui, c’est une politique généralisée de détection de voyageurs potentiellement contaminés dans les aéroports canadiens. Les passagers qui arrivent au Canada devraient subir un questionnaire serré sur leur état de santé, passer un « scan » thermique pour vérifier leur température et, le cas échéant, dresser la liste des personnes qu’ils ont rencontrées, énumère le médecin.

« On espère que ces restrictions seront apportées rapidement, sinon, il y aura toujours des cas qui affluent de l’extérieur. »