(Medellín, Colombie ) Dans le sud de Medellín, la musique et le brouhaha de la foule retentissent dans le quartier Poblado, le plus touristique et festif de la ville. C’est vendredi soir, alors le « parque Lleras » (parc Lleras) et la « calle 10 » (rue 10) voient affluer des centaines de fêtards nationaux et internationaux.

PHOTO JORGE CALLE, COLLABORATION SPÉCIALE

Le quartier Poblado, dans le sud de Medellín, où se concentre une grande partie des lieux festifs de la ville. Ils réunissent les Colombiens et les touristes internationaux.

Dans ce décor circule la drogue rose dite le tusi, nexus ou eros. Son effet psychotrope est apprécié pour faire la fête. Cette substance est obtenue en mélangeant plusieurs composants comme la kétamine (un sédatif pour chevaux), la MDMA (drogue de synthèse) ou la caféine. La poudre blanche obtenue est ensuite colorée en rose et ingérée par voie orale ou nasale.

PHOTO JOAQUIN SARMIENTO, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

La drogue tusi est normalement de couleur blanche, mais un colorant rose y est ajouté pour la rendre plus attractive.

Depuis plusieurs semaines, les hôpitaux du pays et les centres toxicologiques alertent sur la hausse des patients avec des complications liées à la consommation du tusi. Le Dr Jorge Marin Alonso, toxicologue de la clinique Soma de Medellín et intervenant dans d’autres centres hospitaliers de la région, confirme l’augmentation des cas.

PHOTO JORGE CALLE, COLLABORATION SPÉCIALE

La clinique Soma, dans le centre de Medellín, reçoit des patients ayant consommé du tusi. Ces derniers mois, les 20 lits du service de toxicologie sont en majorité occupés par des personnes qui en ont consommé. Ici, le DJorge Alonso Marin auprès de ses patients lors d’une visite journalière.

« Le tusi est dans notre région depuis près de trois ans maintenant, dit-il. Mais avant, nous recevions un patient par semaine avec des complications, alors qu’aujourd’hui, on en reçoit un par jour. C’est plus qu’alarmant, car comme c’est une drogue mélangée à d’autres substances, ses effets sont multipliés et plus dangereux. Si vous avez une altération de votre rythme cardiaque ou de votre système respiratoire, ce sera bien plus fort en intensité. »

PHOTO JORGE CALLE, COLLABORATION SPÉCIALE

Le Dr Jorge Marin Alonso, toxicologue de la clinique Soma de Medellín

Le patient devient pâle, avec les pupilles très dilatées, et peut être victime d’un arrêt respiratoire ou cardiaque. S’il n’est pas soigné dans les minutes qui suivent, les séquelles sont dramatiques. Les patients ont aussi des hallucinations et parfois des ruptures de la fibre musculaire, générant des problèmes rénaux ou même des maladies liées à l’hépatite.

Le Dr Jorge Marin Alonso, toxicologue de la clinique Soma à Medellín

Dépendance quasi instantanée

La dépendance à cette drogue est quasi instantanée et le besoin d’augmenter la dose est constant. Dans la clinique Soma, la vingtaine de lits destinés aux patients de toxicologie sont tous occupés, en grande partie par des personnes qui ont consommé du tusi.

Même constat près de Bogotá, la capitale, dans le centre de réhabilitation Narconon. De l’extérieur, le centre ressemble à une villa ou une maison secondaire. Mais à l’intérieur, il compte un spa, une piscine et des ateliers pour aider ses résidants à se défaire de leur dépendance aux drogues. Une thérapie d’environ quatre à cinq mois est recommandée. Les inscriptions y ont augmenté. Quant aux conséquences physiques et psychologiques sur les patients, elles sont très difficiles à traiter.

Jhon Jerez travaille depuis 20 ans avec le programme Narconon. Il explique que l’établissement « procède à des traitements à base de produits naturels. Les effets de manque générés par la drogue sont plus intenses et plus complexes à traiter chez les patients qui ont consommé du tusi. Par exemple, les convulsions sont plus fortes, les tremblements et les sensations de frissons aussi. Le processus peut durer plusieurs semaines. On a vu des mélanges de drogues insensés, des mélanges avec de la benzodiazépine, de l’oxycodone, de la morphine et de la méthamphétamine ».

Depuis sa création, 400 patients ont été traités à Narconon. D’après Jhon Jerez, « environ 72 % s’en sont sortis après 4 à 6 mois de cure. Certains n’ont pas terminé le programme parce qu’ils ont rechuté ou pour des raisons financières ou familiales ».

Parmi les patients, il y a Luis Miguel Zapata (son nom a été modifié pour garantir son anonymat). « À mon arrivée au centre, je fumais de la marijuana, je buvais beaucoup d’alcool et je consommais du tusi. J’ai commencé à l’université. Le tusi, c’était par curiosité, car cette drogue est à la mode. »

Quand tu prends du tusi, ta réalité est complètement altérée. Tu te sens euphorique et très détendu. Tout autour de toi est différent, comme la musique, elle est plus intense. Ta vision se transforme, c’est comme si tout était au ralenti.

Luis Miguel Zapata, ancien consommateur de tusi

Aujourd’hui, après quelques semaines de cure, il reprend ses esprits. « À Valledupar [ville du nord-est de la Colombie], je vivais dans un contexte qui me poussait à consommer. Je sentais que je n’aurais pas le courage ni la force d’arrêter cette drogue tout seul. Ici, j’ai réussi à me désintoxiquer physiquement, et maintenant, je travaille sur mon esprit pour faire en sorte de vivre les choses au présent et plus sereinement. Je reprends contact avec les autres. C’est dur de sortir de ces drogues de synthèse, elles sont très addictives, omniprésentes dans plusieurs cercles sociaux et très à la mode. »

Une drogue chère

Cette drogue de synthèse est considérée comme chère, car le gramme peut se vendre à 200 000 pesos (environ 63 $ CAN) lorsqu’il est pur, et à environ 70 000 pesos (22 $) s’il est mélangé avec d’autres substances. Alors, la clientèle est en général constituée de personnes avec un grand pouvoir d’achat, notamment les mannequins, les acteurs ou les personnalités publiques. Mais le grand public s’y intéresse aussi. Il achète alors la version moins onéreuse du tusi, celle mélangée avec d’autres substances.

Depuis 10 ans, ce « cocktail de substances » est présent dans les fêtes qui ont lieu dans tout le pays. Il est consommé principalement par les personnes âgées de 18 à 34 ans, selon les données du projet « Échele cabeza ». L’arrivée du fentanyl, une autre drogue de synthèse, inquiète davantage, car ses effets sont 50 fois plus puissants que ceux de l’héroïne et qu’il est mélangé au tusi.

Pour le médecin toxicologue Jorge Marin Alonso, le pire est à venir. « Ce phénomène est mondial. Il est dû notamment à la plus grande accessibilité aux substances psychoactives, grâce au développement de la vente de substances sur les réseaux sociaux et des livraisons à domicile, mais aussi parce qu’il y a une diminution de la perception du risque. Le fentanyl est encore plus dangereux. Car dès la première dose, on peut être dépendant. Et c’est une drogue qui peut être absorbée par simple contact avec la peau. »

Selon le ministère de la Santé colombien, plus de 1300 cas de consommation de fentanyl ont été identifiés en Colombie. Cette drogue a été classée comme la plus mortelle au monde par l’Organisation mondiale de la santé.