(Buenos Aires) Le président ultralibéral argentin Javier Milei a annoncé cette semaine la modification ou abrogation par décret de plus de 300 normes et lois, dans ce qui constitue un projet aussi ambitieux que controversé visant à déréguler massivement l’économie du pays.

Dans l’histoire argentine, jamais un changement aussi radical et vaste que celui qu’il entend imposer avec sa « tronçonneuse », devenue le symbole de sa détermination à démanteler l’État, n’avait encore été mené.  

Cela ne s’est produit ni sous les gouvernements démocratiques qui se sont succédé, quelle que soit leur couleur politique, ni sous les dictatures qui ont ravagé le pays, riche en ressources naturelles et grand exportateur de denrées alimentaires, mais aujourd’hui plongé dans une profonde crise avec une inflation de plus de 160 % sur un an.  

Que peut changer le décret dans la vie de tous les jours ?

Le « décret d’urgence » signé par Milei dix jours après avoir pris ses fonctions, et à la veille de Noël, prévoit l’abrogation de la loi encadrant les loyers ou celle qui tentait de freiner la spéculation de la grande distribution, alors que les prix des articles de première nécessité ne cessent d’augmenter.

Exit aussi la réglementation protégeant les travailleurs avec une période d’essai passant de trois à huit mois, la modification en faveur des entreprises des régimes d’indemnisation pour licenciement sans cause ou la renégociation des accords collectifs en vigueur depuis 1975.

Les entreprises publiques comme la compagnie aérienne Aerolineas Argentinas ou le groupe pétrolier YPF pourront être privatisées. Le décret modifie aussi la loi sur les sociétés pour que les clubs de football puissent se transformer en sociétés anonymes.

Les banques pourront elles facturer des taux d’intérêt sans limites pour les retards de paiement, alors qu’une grande partie de la population est endettée.

Quel est l’objectif du décret ?

« L’objectif est d’entamer le chemin vers la reconstruction du pays, rendre la liberté et l’autonomie aux individus et commencer à désarmer l’énorme quantité de régulations qui ont retenu, entravé et empêché la croissance économique dans notre pays », a assuré mercredi Milei en annonçant la signature du décret.

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Les nouvelles mesures annoncées par Milei ont été mal reçues par une partie de la population qui est sortie dans la rue pour montrer son désaccord.

« Il se peut qu’il y ait des gens qui souffrent du syndrome de Stockholm. Ils sont amoureux du modèle qui les appauvrit », a réagi Milei face aux protestations suscitées par son décret, qui prévoit aussi de limiter le droit de grève, consacré dans la Constitution argentine.

Est-ce que ce décret est constitutionnel ?

« Ce que dit la Constitution et la jurisprudence de la Cour suprême de justice, c’est qu’en principe les lois ne peuvent pas être modifiées par décret et le président ne peut pas remplacer le Parlement », explique à l’AFP Emiliano Vitaliani, avocat constitutionnaliste.  

Le décret doit encore passer par le Parlement, où le parti de Milei est minoritaire.  

German Martinez, chef du parti d’opposition « Union por la Patria », a appelé Milei à convoquer des sessions parlementaires extraordinaires au lieu de gouverner par décret. « Envoyez les réformes sous forme de projets de loi. N’ayez pas peur du débat démocratique ».  

Pour la politologue Lara Goyburu, la signature de ce décret « contourne toutes les limites » et intervient « dans de nombreux domaines qui nécessitent des accords politiques entre le parlement et les provinces ».

Le décret peut-il être repoussé ?

Pour que ce décret d’urgence soit invalidé, il faudrait que la Chambre des députés et le Sénat à la fois le rejettent. Dans le cas contraire, il entrera en vigueur le 29 décembre, explique M. Vitalini.  

Pour l’avocat constitutionnaliste Alejandro Carrio, son principal inconvénient reste que le Parlement doit l’approuver ou le rejeter dans son intégralité.

« Le président a fait un pari très grand, dont le succès dépendra de sa capacité à obtenir un soutien législatif qui, jusqu’à présent, n’est pas connu », a-t-il écrit dans une colonne du journal La Nacion.  

L’autre moyen d’annulation du décret serait par voie judiciaire. La Confédération générale du travail notamment étudie cette possibilité.