(Lima) L’ancien président péruvien Alberto Fujimori (1990-2000) a été libéré mercredi de prison où il purgeait depuis 2009 une peine de 25 ans pour crimes contre l’humanité, après une décision la veille de la Cour constitutionnelle.

M. Fujimori, vêtu d’une veste noire, a quitté à 18 h 29 locales (18 h 29 heure de l’Est) la prison de Barbadillo, à l’est de Lima, à bord d’une camionnette grise qui a fendu lentement la foule de ses soutiens venus l’accueillir, selon des journalistes de l’AFP.

Sa fille Keiko, trois fois candidate malheureuse au second tour de la présidentielle, et son fils Kenji, homme d’affaires, qui avaient maintes fois réclamé la libération de leur père, se trouvaient à ses côtés.

« La santé de mon père est fragile. Le plus important est de s’occuper de lui et qu’il récupère petit à petit. Nous savons que la meilleure thérapie est l’amour de sa famille », a déclaré à la presse sa fille Keiko devant son domicile.

M. Fujimori, 85 ans, souffre de manière récurrente de problèmes respiratoires et neurologiques, dont des paralysies faciales.

Mardi, la Cour constitutionnelle avait ordonné la libération immédiate de l’ancien président controversé, rétablissant une grâce accordée en 2017 et qui avait été révoquée deux ans plus tard par la Cour suprême.

« Gifle »

Pour le cardinal Pedro Barreto, la grâce accordée à M. Fujimori est une « gifle ». « Dans ce pays, quand il y a une sentence judiciaire, elle est exécutée jusqu’au dernier jour, il n’y a de privilège pour personne », a-t-il fustigé.  

L’ancien homme fort du Pérou avait été jugé coupable de la mort de 25 personnes dans deux massacres perpétrés par un commando de l’armée dans le cadre de ce qui avait été appelé la guerre contre le terrorisme (1980-2000) des guérillas d’extrême gauche.

La Cour interaméricaine des droits de l’homme a réclamé mercredi en vain au Pérou de « s’abstenir d’exécuter » la décision de la Cour constitutionnelle « jusqu’à ce que la Cour interaméricaine des droits de l’homme dispose de tous les éléments nécessaires pour analyser si cette décision respecte les conditions » de ses précédents arrêts.

Mais le gouvernement de la présidente Dina Boluarte a autorisé sa libération.

M. Fujimori « a effectué approximativement les deux tiers de sa peine », s’est justifiée la Cour constitutionnelle, en plus d’avancer les arguments humanitaires.

L’Association péruvienne pour les droits humains a condamné cette décision, estimant qu’il s’agit d’un pied de nez à la Cour interaméricaine.

Le ministre des Affaires étrangères péruvien a lui assuré que Lima réaffirmait « son engagement envers le système de promotion et de protection des droits humains, aux niveaux régional et universel ».  

Grâce rétablie

La Cour constitutionnelle avait déjà ordonné en mars 2022 la libération de M. Fujimori, mais la Cour interaméricaine des droits de l’homme avait demandé à l’État de « s’abstenir d’exécuter » cette décision. Le pays, alors dirigé par le président de gauche Pedro Castillo, avait obtempéré.

Alberto Fujimori a gouverné le Pérou d’une main de fer, mais, face à une opposition croissante, il s’était enfui en novembre 2000 au Japon, d’où sa famille est originaire.  

C’est par fax qu’il avait annoncé alors renoncer à son mandat. Extradé ensuite du Chili en 2007, il avait été condamné et emprisonné deux ans plus tard.

Malgré la demande de « pardon » formulée en 2017 pour les actes commis par son gouvernement, Alberto Fujimori a divisé les Péruviens comme peu d’hommes politiques l’ont fait dans l’histoire du pays andin de 32 millions d’habitants.  

Pour certains,  celui que l’on surnomme « El Chino » (le Chinois) est l’homme qui a dopé l’essor économique du pays par ses politiques ultralibérales, et combattu avec succès les guérillas du Sentier lumineux (maoïste) et du Mouvement révolutionnaire Tupac Amaru (guévariste).

D’autres se souviennent surtout des scandales de corruption et de ses méthodes autoritaires, qui l’ont conduit derrière les barreaux pour avoir commandité deux massacres perpétrés par un escadron de la mort en 1991-1992, dans le cadre de la lutte contre le Sentier lumineux.

On « se moque des familles et des victimes », a déploré auprès de l’AFP Gladys Rubina, sœur de l’une des victimes des massacres pour lesquels M. Fujimori a été condamné.  

« L’homme ne nous a jamais demandé pardon et là, il sort, comme si de rien n’était ».

« Je n’ai confiance qu’en la justice de la Cour » interaméricaine, a-t-elle lancé.