Le tremblement de terre de magnitude 6,8 qui a eu lieu dans le Haut-Atlas marocain, le 8 septembre dernier, a coûté la vie à presque 3000 personnes et fait plus de 6000 blessés. Après l’urgence des premières semaines, les habitants des montagnes redoutent maintenant l’arrivée de l’hiver.

Route barrée. Ces deux mots peints en noir, en français et en arabe, Siham les craint. Elle observe la montagne qui s’élève au loin. Le petit panneau jaune est accroché devant une barrière métallique qui sépare la route en deux. C’est mauvais signe. Après discussion avec les autorités, il faut faire demi-tour.

Un éboulement a déversé des kilos de roches un peu plus loin dans les sommets. Impossible de passer, il faudra tenter à nouveau le lendemain. « C’est comme ça, c’est la montagne qui décide. On n’est pas plus forts qu’elle », fait remarquer la jeune femme qui s’est lancée dans l’aide à ses compatriotes au lendemain du séisme. Depuis, alors que l’assistance s’est radicalement réduite, elle continue avec acharnement à soutenir Assiyz, un douar – soit une communauté rurale au fonctionnement collectif, souvent traduit par le mot « village » – particulièrement reculé.

PHOTO EVA TAPIERO, COLLABORATION SPÉCIALE

À Assiyz, une communauté rurale particulièrement isolé, l’urgence est d’assurer l’isolation des tentes avant que l’hiver se pointe.

Une aide vitale et urgente

Avec une dizaine d’autres bénévoles, Siham y a créé une petite organisation, Moroccan Douars, pour aider au-delà de la reconstruction. Elle se bat pour recevoir des dons le plus rapidement possible et acheter ce dont les habitants ont besoin, parce qu’il sera bientôt trop tard pour acheminer cette aide précieuse. À tout moment, les routes peuvent être coupées pendant plusieurs jours, voire des semaines. Les premières secousses ayant fragilisé les massifs, les nombreuses répliques et le mauvais temps hivernal accentuent les risques.

PHOTO EVA TAPIERO, COLLABORATION SPÉCIALE

Bientôt, il sera trop tard pour acheminer l’aide aux habitants. À tout moment, les routes peuvent être coupées pendant plusieurs jours, voire des semaines.

L’urgence est d’assurer l’isolation des tentes dans lesquelles tout le monde vit désormais à Assiyz. « Si on ne fait rien maintenant, en janvier, on comptera les morts », s’alarme Siham qui ne comprend pas l’inaction. Après une nuit dans la petite localité d’Ouled Berhil, située entre Taroudant et Marrakech, le pick-up qui contenait le chargement prend de nouveau la route. À l’arrière sont stockés des semences de blé, de betteraves, de fèves ou encore de navets, deux cadres de lit et des planches de bois pour le sol, des matelas, quelques chauffages électriques d’appoint et un grand rouleau de bâches en plastique pour imperméabiliser les tentes.

Tout le long de la route, les campements s’égrainent les uns après les autres. Il y a bien eu quelques initiatives d’habitat temporaire en dur, mais la majorité des sinistrés n’en a pas bénéficié.

Aux alentours de Tizi n’Test, à 2000 mètres d’altitude, le convoi est à nouveau immobilisé. Deux heures sont nécessaires pour dégager la voie. Un café qui a échappé à la destruction totale reçoit les voyageurs de passage. C’est le cas de Taieb dont la famille vient de Tamsoult, autre douar durement touché. L’homme y décompte une trentaine de morts, dont 12 de sa propre famille. Depuis la catastrophe, il vient régulièrement prêter main-forte. Cette fois, il s’est déplacé avec des proches arrivés des États-Unis avec la volonté de distribuer de l’argent aux veuves et aux orphelins. Dès la réouverture de la route, tout le monde s’élance et reprend le cours de sa mission du jour.

Coupés du monde

Après des lacets qui semblent interminables, une pancarte indique « Assiys ». À partir de là, il faut continuer à pied sur le sentier de 7 km creusé dans la montagne. De petites taches de couleur transpercent le paysage, les toiles de tente s’étendent un peu partout, entre les maisons détruites. Dans celle de Fadma, 40 ans et divorcée, il y a l’électricité. Ils sont nombreux à s’y presser, le soleil se couche et c’est l’heure du thé. L’acheminement du chargement de Moroccan Douars prend plusieurs heures, à pied et à dos de mule.

PHOTO EVA TAPIERO, COLLABORATION SPÉCIALE

À partir de cette pancarte, il faut continuer à pied et à dos de mule sur le sentier de 7 km creusé dans la montagne pour se rendre à Assiyz.

Une fois le soleil couché, le froid devient perçant. Dans la nuit noire, de petits points lumineux s’agitent le long du sentier. Les lampes torches, ou « piles » comme on dit ici, permettent de se frayer un chemin dans les hauteurs. Pendant que Fadma participe elle aussi à l’effort collectif, sa belle-sœur Khadija surveille le tagine. Un quotidien qui pourrait sembler normal, pourtant les prochaines semaines sont dans tous les esprits.

Juste après la catastrophe, alors qu’ils étaient totalement coupés du monde, les habitants ont construit des tournit, fours en terre, en tamazight, la langue parlée dans la région. Un savoir ancestral qui les a sauvés en leur permettant de cuire le pain et de chauffer l’eau.

Des connaissances qui sont autant de ressources face à l’adversité, mais cela suffira-t-il ? Ils reconnaissent avoir l’habitude du froid et d’être loin de tout. Mais cette année, c’est différent. « Oui, j’ai peur », admet Fadma. Elle redoute surtout d’être à nouveau isolée. « Lorsqu’il y a plusieurs mètres de neige, on peut parfois rester 15 ou 20 jours seuls ici. » Sans la protection que pouvaient leur offrir les murs d’une demeure, avec moins de culture et de bétail, la perspective effraie, d’autant qu’une femme est enceinte. Pour l’instant, des hommes travaillent en priorité à bâtir de nouvelles étables. Dès qu’ils le peuvent, c’est la protection des bêtes qu’ils essayent d’assurer, car leur survie en dépend aussi. Fadma résume : « Notre vie, c’est les animaux. »

PHOTO EVA TAPIERO, COLLABORATION SPÉCIALE

Juste après le séisme, les habitants ont construit des tournit, des fours en terre, qui les ont sauvés en leur permettant de cuire le pain et de chauffer l’eau.

La reconstruction de leurs foyers prendra plus de temps. Étant donné leur situation géographique, les dépôts de dossiers pour profiter des aides de l’État ont pris du temps. Personne n’a encore rien touché. Ce qui ne les empêche pas de réfléchir à un meilleur aménagement. La quadragénaire raconte qu’ils vont procéder à des échanges de terre. « Certaines maisons étaient à flanc de montagne et ont particulièrement souffert du tremblement de terre. Donc on va faire des échanges de terrain : là où c’est le plus dangereux, cela va devenir des emplacements cultivables, et des endroits qui servent pour les cultures aujourd’hui seront utilisés pour des habitations. »

Un douar, c’est une grande famille, et beaucoup sont morts ici. Les abris se réparent, mais certaines blessures mettent plus de temps à s’apaiser. Hamid, le frère de Fadma, sourit : « Ce qui me manque le plus de la vie d’avant ? Mon père. »