Non, merci. Quatre jours après le tremblement de terre qui a fait plus de 2800 morts au Maroc, Rabat refuse toujours l’aide humanitaire proposée par la France. Cette fin de non-recevoir met en lumière le froid diplomatique qui s’est installé entre les deux pays. Questions et réponses.

Le Maroc a jusqu’ici accepté le soutien de l’Espagne, du Royaume-Uni, du Qatar et des Émirats arabes unis. Pourquoi ces quatre pays en particulier ?

Par affinités naturelles et diplomatiques. Le Qatar et les Émirats arabes unis avaient déjà une relation étroite avec le Maroc. Rabat s’est beaucoup rapproché de Madrid il y a un an, après une crise diplomatique aiguë avec l’Espagne⁠1. Enfin, le Royaume-Uni, possiblement pour des raisons symboliques. Londres a l’avantage de ne plus faire partie de l’Union européenne (UE), alors que l’UE et le Maroc sont en brouille à cause du scandale du Qatargate⁠2 et de l’épineux dossier du Sahara occidental.

Le Maroc a décliné l’aide de la France. Pourquoi ?

Le gouvernement marocain affirme qu’il doit faire l’état des lieux avant d’accepter de l’aide supplémentaire. Il y a des défis logistiques. Il faut cibler les besoins. Mais derrière cette explication officielle se profilent d’autres enjeux d’ordre géopolitique. En effet, le Maroc et la France ne se parlent plus depuis plusieurs mois, le Maroc ayant même rappelé son ambassadeur à Paris. Une crise humanitaire « peut faire apparaître des rapprochements ou des petits froids entre les pays, et c’est apparemment le cas ici », observe Béatrice Hibou, directrice de recherche au CNRS, coautrice du livre Tisser le temps politique au Maroc.

Quelles sont les raisons de ce froid ?

Il y en a quelques-unes. Le Maroc reproche à la France de ne pas reconnaître sa souveraineté sur le Sahara occidental, un territoire non autonome revendiqué par Rabat. De fait, Paris semble plutôt cultiver ses relations avec l’Algérie voisine, qui soutient de son côté le mouvement Polisario, qui se bat pour l’indépendance de cette région. Le ressentiment marocain s’explique aussi par la politique de fermeture de la France, qui a diminué de moitié l’an dernier la délivrance de visas pour les visiteurs marocains. Enfin, l’Élysée ne cesse de repousser la rencontre du président Emmanuel Macron avec le roi du Maroc, Mohamed VI, pas exactement un signe de respect.

« Macron a vraiment dégradé la relation avec le Maroc comme il l’a dégradée avec le Sahel par son comportement et son arrogance », résume Béatrice Hibou. Ces manières, « durement ressenties » par le Maroc, expliquent en partie le rejet de l’aide française. « C’est une façon de dire à la France : vous n’êtes plus le pays prioritaire. Vous n’êtes plus le pays privilégié et donc vous attendrez, comme les autres », ajoute Mme Hibou.

Au-delà du froid diplomatique, le rejet de la France par le Maroc est aussi l’expression d’une certaine volonté décoloniale. Un phénomène observable depuis une dizaine d’années non seulement au Maroc, mais dans beaucoup d’anciennes colonies, qui cherchent à retrouver leur entière souveraineté. « Ce qu’on voit généralement, c’est que lorsque les entités d’aide étrangère débarquent, elles prennent le contrôle, littéralement », souligne François Audet, professeur à l’École des sciences de la gestion de l’Université du Québec à Montréal et directeur de l’Observatoire canadien sur les crises et l’action humanitaires. « Or, les pays du Sud global ne veulent plus ça. C’est documenté. C’est ce qu’on appelle la décolonisation de l’aide humanitaire… »

Comment réagit la France ?

Elle minimise. Lundi, la ministre des Affaires étrangères s’est attachée à tuer la polémique dans l’œuf. « C’est une mauvaise querelle, une querelle tout à fait déplacée », a déclaré Catherine Colonna, à la télé. « Le Maroc n’a refusé aucune aide, aucune proposition », a-t-elle ajouté, martelant que « le Maroc est souverain ». Sans nier les tensions bilatérales entre les deux pays, elle a assuré que les relations étaient loin d’être rompues. Elle a fait savoir qu’Emmanuel Macron avait échangé « à de nombreuses reprises » au cours de l’été avec le roi Mohammed VI et que les deux pays travaillaient à trouver une date pour la visite du président français au Maroc.

Des impacts négatifs pour les populations concernées ?

« Il ne faut pas sous-estimer les capacités du Maroc », répond Béatrice Hibou. Selon elle, le pays est organisé et très capable de se déployer sur le terrain, avec un maillage du territoire effectué aussi bien par l’armée que par le ministère de l’Intérieur, les présidents de communes et même des associations – dont certaines françaises – qui sont déjà à pied d’œuvre. Selon Mme Hibou, le plus grand besoin des populations sera plutôt dans le long terme, quand viendra la reconstruction. « Et là, conclut-elle, il y aura toute l’aide internationale qui pourra venir… »

Avec l’Agence France-Presse

1. Lisez le reportage de France24 à ce sujet 2. Lisez le reportage de France Inter à ce sujet